Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/238

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Edison regarda l’Anglais.

― Je vous ai démontré, répondit-il, que dans l’Amour-passion, tout n’était que vanité sur mensonge, illusion sur inconscience, maladie sur mirage, ― Aimer zéro, dites-vous ? Encore une fois, qu’importe, si vous êtes l’unité placée devant ce zéro, comme vous l’êtes, d’ores et déjà, devant tous les zéros de la vie ― et si c’est, enfin, le seul qui ne vous désenchante ni ne vous trahisse ?

Toute idée de possession n’est-elle donc pas éteinte et morte en votre cœur ? ― Je ne vous offre, et je l’ai bien spécifié, qu’une transfiguration de votre belle vivante, ― c’est-à-dire ce que vous avez demandé en vous écriant : « Qui m’ôtera cette âme de ce corps ! » Et voici que, déjà, vous redoutez, à l’avance, la monotonie de votre propre vœu réalisé. Vous voulez, maintenant, que l’Ombre soit aussi changeante que la Réalité ! ― Eh bien ! je vais vous prouver, à l’instant, jusqu’à l’évidence la plus incontestable, que c’est vous-même, ici, qui essayez, cette fois, de vous faire illusion, car vous ne pouvez pas ignorer, mon cher lord, que la Réalité, elle-même, n’est pas aussi riche en mobilités, en nouveautés, ni en diversités que vous vous efforcez de le croire ! Je vais vous rappeler que le langage du bonheur dans l’Amour, ainsi que ses expressions sur les traits mortels, ne sont pas aussi variés qu’un secret désir de garder, quand même, votre déjà pensif désespoir, vous inspire de le supposer encore !

L’électricien se recueillit un instant, ― puis :

― Éterniser une seule heure de l’amour, ― la plus belle, ― celle, par exemple, où le mutuel aveu se perdit sous l’éclair du premier baiser,