Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/276

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en parcourant près de cent mille lieues par seconde, n’est arrivée que récemment à la place occupée par la Terre dans le Ciel. Et il se trouve que plusieurs de ces astres se sont éteints depuis longtemps, avant qu’il ait été possible à leurs mortels de distinguer cette terre. Cependant le rayon sorti de ces astres refroidis devait leur survivre. Il continua sa marche irrévocable dans l’étendue. C’est ainsi qu’aujourd’hui le rayon de quelques-uns de ces foyers en cendres est parvenu jusqu’à nous. De sorte que l’homme qui contemple le Ciel y admire souvent des soleils qui n’existent plus et qu’il y aperçoit quand même, grâce à ce rayon fantôme, dans l’Illusion de l’univers.

Eh bien ! cet appareil, milord Celian, est tellement sensible qu’il pèse la chaleur presque nulle, presque imaginaire, d’un rayon de ces sortes d’étoiles. Il en est même de si lointaines que leur lueur ne parviendra jusqu’à la Terre que lorsque celle-ci se sera éteinte comme elles se sont éteintes, et qu’elle aura passé sans même avoir été connue de ce rayon désolé.

Pour moi, souvent, pendant les belles nuits, quand le parc de cette habitation est solitaire, je me munis de cet instrument merveilleux ; je viens en haut, je m’aventure sur l’herbe, je vais m’asseoir sur le banc de l’Allée des chênes, ― et là, je me plais, toute seule, à peser des rayons d’étoiles mortes.

Hadaly se tut.

Lord Ewald, éprouvait un vertige ; il finissait par se familiariser avec l’idée que ce qu’il voyait