Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/291

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ici-bas, je viens offrir aux humains de ces temps évolus et nouveaux, ― à mes semblables en Actualisme, enfin ! ― de préférer désormais à la mensongère, médiocre et toujours changeante Réalité, une positive, prestigieuse et toujours fidèle Illusion. Chimère pour chimère, péché pour péché, fumée pour fumée, ― pourquoi donc pas ?… Je jure, ici, que, dans vingt et un jours, Hadaly pourra mettre au défi l’Humanité tout entière de répondre nettement à cette question-là, mon cher lord. Car, ayant renié, disons-nous, ― pour la fumée d’un Bien-être toujours futur, d’une prétendue Justice toujours future, et d’un orgueil toujours demeuré, lui, chétif et puéril, ― ce que l’on appela, de tout temps, avant cet automne, la Douleur, l’Humilité, l’Amour, la Foi, la Prière, l’Idéal ― et l’essentielle Espérance au delà de nos soleils d’un jour, ― je ne vois guère, je l’avoue, en vertu de quels diables d’autres principes l’Homme moderne oserait, sans rire, lui présenter une « objection » logique ou même acceptable.

Lord Ewald, pensif, regardait, en silence, cet homme singulier dont l’amer génie, tour à tour sombre ou rayonnant, cachait, sous tant d’impénétrables voiles, le véritable motif qui l’inspirait.

Un coup de timbre sonna, tout à coup, dans l’intérieur d’un pilier. C’était un appel venu de la terre.

Hadaly se leva, lente et comme un peu endormie.

― Voici la belle vivante, milord Celian ! dit-elle. Elle entre dans Menlo Park.