Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/30

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au fond, l’on peut affirmer que les murailles seules de la ville de Jéricho entendirent le son des trompettes de Josué, puisque seules elles avaient qualité pour cela, mais que ni l’armée d’Israël, ni les assiégés chananéens ne distinguèrent en ce son rien d’anormal : ce qui revient à dire qu’au fond personne ne les a jamais entendues.

Une comparaison : si je place, ― voyons, ― la Joconde de Léonard de Vinci devant les prunelles d’un Pawnie ou d’un Cafre, ― ou même de certains bourgeois de toutes nationalités, ― quelque puissantes que soient les loupes ou les lentilles à l’aide desquelles j’augmenterai les forces de la vue chez ces naturels, parviendrai-je jamais à leur faire voir CE qu’ils regarderont ?

D’où je conclus qu’il en est des bruits comme des voix et des voix comme des signes ― et que nul n’a droit de rien regretter. ― De nos jours, d’ailleurs, s’il n’est plus de bruits surnaturels, je puis, par compensation, en enregistrer d’assez importants, comme le bruit de l’avalanche, du Niagara, de la Bourse, d’une éruption, des canons de plusieurs tonnes, d’une tempête, d’une multitude, du tonnerre, du vent, de la houle, d’une bataille, etc.

Une réflexion suspendit ici la nomenclature d’Edison.

― Il est vrai que mon seul Aërophone domine, d’ores et déjà, tous ces vacarmes dont la contingence bien reconnue est dépourvue désormais de tout intérêt ! acheva-t-il avec mélancolie.

― Décidément, je le répète, le Phonographe et moi nous arrivons tard dans l’Humanité. Considération tellement décourageante que ― si je