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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/301

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― C’est cela ! dit la comédienne, en respirant à deux mains ses roses thé.

― Enfin, là, ce n’est plus de l’époque ! résuma Edison d’un ton sec et péremptoire.

― D’abord, ajouta miss Alicia, je n’aime pas que l’on tire des coups de fusil sur la scène. Cela vous fait sauter. Et, justement, cela commence par trois coups de fusil. Faire du bruit, ce n’est pas faire de l’art !

― Et puis, les accidents sont si vite arrivés ! appuya Edison : la pièce y gagnerait si l’on coupait ces détonations.

― D’ailleurs, cet opéra-là, murmura miss Alicia Clary, c’est du fantastique, tout cela.

― Et le fantastique a fait son temps ! c’est juste. Nous vivons dans une époque où le positif seul a droit à l’attention. Le fantastique n’existe pas ! conclut Edison. ― Quant à la musique… vous a-t-elle paru… peuh ?… hein ?…

Et il allongea les lèvres, d’une manière interrogative.

― Ah ! je suis partie avant la valse ! répondit simplement la jeune femme comme déclinant par là toute possibilité d’appréciation.

Et sa voix articula cette phrase avec une inflexion de contralto si riche et si pure, si céleste même, qu’aux oreilles d’un étranger qui n’eût point parlé la langue en laquelle s’exprimaient les convives, miss Alicia Clary eût semblé quelque fantôme sublime d’une Hypathie, au visage athénien, errante, la nuit, à travers la Terre-sainte et déchiffrant, aux lueurs des étoiles, sur les ruines de Sion, tel passage oublié du Cantique des Cantiques.