Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/347

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échappant à mille vengeances, dut de s’éteindre en paix au milieu de la haine de son peuple — dont il brava, jusqu’à la fin, sans soucis ni périls, les bouillonnantes fureurs assoiffées de son sang.


Une fois — quelque dix ans peut-être avant sa mort — par un midi d’été dont l’ardeur faisait miroiter les moires des étangs, craquer les feuillages des arbres, rutiler la poussière — et versait une pluie de flamme sur ces myriades de vastes et hauts kiosques, aux triples étages, qui, s’avoisinant selon les méandres des rues, constituent la capitale Nan-Tchang ainsi que toute grande ville du Céleste-Empire, — Tchë-Tang, assis dans la plus fraîche des salles d’honneur de son palais, sur un siège noir incrusté de fleurs de nacre aux liserons d’or neuf, s’accoudait, le menton dans la main, le sceptre sur les genoux.

Derrière lui, la statue colossale de Fô, l’inexprimable dieu, dominait son trône. Sur les degrés veillaient ses gardes, en armures écaillées de cuir noir, la lance, l’arc ou la longue hache au poing. À sa droite se tenait debout son bourreau favori, l’éventant.

Les regards de Tchë-Tang erraient sur la foule des mandarins, des princes de sa famille et sur les grands officiers de sa cour. Tous les fronts étaient impénétrables. Le roi, se sentant haï, entouré d’imminents meurtriers, considérait, en proie aux soupçons indécis, chacun des groupes où l’on causait à