Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/367

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l’autre extrémité de la place de Kama s’ouvrait, silencieusement, la plus longue avenue. Celle-là, depuis des siècles, on en détournait le regard. Elle s’étendait, déserte, assombrissant, sur son profond parcours à l’abandon, les voûtes de ses noirs feuillages. Devant l’entrée, une longue ligne de psylles, ceinturés de pagnes grisâtres, faisaient danser des serpents droits de la pointe de la queue, aux sons d’une musique aiguë.

C’était l’avenue qui conduisait au temple de Sivâ. Nul Hindou ne se fût aventuré sous l’épaisseur de son horrible feuillée. Les enfants étaient accoutumés à n’en parler jamais — fût-ce à voix basse. Et, comme la joie oppressait aujourd’hui les cœurs, on ne prenait aucune attention à cette avenue. On eût dit qu’elle n’arrondissait pas là, béante, ses ténèbres, avec son aspect de songe. D’après une vieille tradition, à de certaines nuits, une goutte de sang suintait de chacune des feuilles, et cette ondée de pleurs rouges tombait, tristement, sur la terre, détrempant le sol de la lugubre allée dont l’étendue était toute pénétrée de l’ombre même de Sivâ.

Tous les yeux interrogeaient l’horizon. — Viendrait-elle avant que montât la nuit ? Et c’était une impatience à la fois recueillie et joyeuse. Cependant,