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Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/59

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une «lubie » d’une intensité insolite, — une sorte de très sombre marotte, qui agita ses grelots, tout à coup, sous son crâne et à laquelle il n’eut même pas l’idée de résister.

« Oh ! songeait-il, se jouer à soi-même (sans danger, bien entendu !) les sensations terribles, — terribles ! qu’avait dû éprouver, devant cette planche fatale, le bon roi Louis XVI !… Se figurer l’être ! Réentendre, en imagination, le roulement de tambours et la phrase de l’abbé Egdeworth de Firmont ! Puis, épancher son besoin de générosité morale en se donnant le luxe de plaindre — (mais, là, sincèrement !… toutes opinions à part !) — ce digne père de famille, cet homme trop bon, trop généreux, cet homme, enfin, si bien doué de toutes les qualités que lui, Redoux, se reconnaissait avoir ! Quelles nobles minutes à passer ! Quelles douces larmes à répandre !… — Oui, mais, pour cela, il s’agissait de pouvoir être seul, devant cette guillotine !… Alors, en secret, sans être vu de personne, on se livrerait, en toute liberté, à ce soliloque si flatteusement émouvant ! — Comment faire ?.. comment faire ?.... »

Tel était l’étrange dada qu’enfourchait, troublé par les fumées des vins de France et d’Espagne, l’esprit, un peu fiévreux déjà, de l’honorable M. Redoux. Il considérait l’extrémité des montants, recouverte, ce soir-là, d’une petite housse qui dérobait la vue du couteau, — sans doute pour ne point choquer les personnes trop sensibles qui n’eussent pas tenu à le voir. Et,