Page:Villiers de L’Isle-Adam - Le Nouveau-Monde, 1880.djvu/96

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78 ACTE TROISIEME opprobre que je te réserve, nous ne serons jamais qu’égales dans la douleur. (Un silence. — Puis, comme s’éveillant, elle frémit. — Tirant un cou- teau-poignard de sa ceinture, et regardant, alternativement, le seuil de la maison et la lame qu’elle tourne entre ses mains : ) Oh ! ce noir tourment d’attendre, inactive, l’heure... où je dois les désunir !.. (Tragique.) Si j’en finissais tout de suite, pourtant ? Si, d’un bond sur elle, lorsque, tout à l’heure, heureuse et se perdant sous ces ombrages... (Se levant, et remettant, très-vite, l’arme à son anneau : ) J’oublie, toujours, le pacte et la menace, — et que la mort de Stephen répond de la vie de lady Cecil. — Calme-toi, cœur solitaire ! L’heure sonnera. Patiente. — Cette jeune fille n’est qu’une vision matinale, destinée à s’évanouir... Alors, sur les ruines de l’amour passé, j’allumerai dans ton cœur sauvage, ô mon chasseur, la flamme vivace d’un désir... qui consumera toutes les impressions de la première tendresse, comme sont consumées des fleurs que la foudre a saisies. Ruth, appuyée d’une main sur l’épaule de Mary, descend les marches de la maison. Elle est vêtue d’un costume d’amazone noir et sévère. Toutes deux ont le pistolet à la ceinture. La voici !... Oh ! elle me semble plus belle encore de tout l’amour qu’il a pour elle. (Elle passe, entre les arbres.) RUTH, pâlie Tu les retrouveras à Sulgrave. Ils reviendront par le châ- teau. Stephen me l’a dit. Ils chassent l’élan par là. Préviens Stephen et Henri de se hâter. C’est pour deux heures, ici même, aujourd’hui. Mary Chère Ruth ! A quoi bon différer de tout apprendre à Stephen ? Il t’aime tant ! Il le faudra bien tôt ou tard et puisque la guerre est prochaine... Ruth Mary, c’est parce qu’il m’aime tant que je tremble à l’idée des résolutions qu’il peut prendre !... J’ai peur ! Oui, je