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liques de Rome, par exemple, reconstruites la plupart au XIIIe siècle, si on les compare aux édifices élevés chez nous à cette époque ? De mauvais murs de brique, mal maçonnés sur des tronçons et des chapiteaux arrachés à des monuments antiques. Dans ces bâtisses barbares, où est l’art, où est l’étude ? Si nous les considérons avec respect et curiosité, n’est-ce pas parce qu’elles nous présentent les dépouilles d’édifices magnifiques ? Si nous nous émerveillons devant de riches joyaux pillés dans un palais, est-ce le pillard qui excite notre admiration ? Soyons donc sincères, et mettons les choses à leur vraie place. Si les Romains du moyen âge trouvaient un sol couvert de débris antiques ; si, au XIIIe siècle encore, les thermes d’Antonin Caracalla étaient debout et presque intacts, ainsi que le Colisée, le Palatin, et tant d’autres édifices, irons-nous admirer les œuvres d’hommes plus barbares que les Vandales et les Huns, qui ont détruit froidement ces monuments pour élever de mauvaises bâtisses, dans lesquelles ces débris même sont maladroitement employés, grossièrement mis en œuvre ? Nous ne voyons apparaître là que la vanité d’un peuple impuissant ; l’intelligence, les idées, l’art enfin font complétement défaut. Quel autre spectacle chez nous ! C’est alors que les architectes laïques en France poursuivent avec persistance leur labeur ; sans songer à leur gloire personnelle, ils ne cherchent qu’à développer les principes qu’ils ont su découvrir ; ils croyaient que l’avenir était pour eux, et ce n’était pas une illusion, car, les premiers, ils commencent, dans l’ère moderne, la grande lutte de l’homme intellectuel contre la matière brute. Les constructeurs de l’antiquité sont les alliés et souvent les esclaves de la matière, ils subissent ses lois ; les constructeurs laïques du moyen âge se déclarent ses antagonistes, ils prétendent que l’esprit doit en avoir raison, qu’il doit l’assujettir, et qu’elle obéira. Est-ce bien à nous, qui perçons les montagnes pour voyager plus à l’aise et plus vite, qui ne tenons plus compte des distances et défions les phénomènes naturels, de méconnaître ceux qui, par leur esprit investigateur et subtil, leur foi désintéressée en des principes basés sur la raison et le calcul (désintéressée, certes, car à peine quelques-uns nous ont laissé leur nom), nous ont devancés de quelques siècles, et n’ont eu que le tort d’arriver trop tôt, d’être trop modestes, et d’avoir cru qu’on les comprendrait. On dit que l’histoire est juste : c’est à souhaiter ; mais sa justice se fait parfois attendre longtemps. Nous accordons que, du XIIe au XVe siècle, la société politique est désordonnée, le clergé envahissant, les seigneurs féodaux des tyrans, les rois des ambitieux tantôt souples, tantôt perfides ; les juifs des usuriers, et les paysans

    pendant le moyen âge et même la renaissance sont maintenus au moyen de barres de fer posées à leur naissance et restées visibles. À ce compte, on peut bien se passer d’arcs-boutants et de tout l’attirail des contre-forts, de combinaisons d’équilibre. On se garde bien, ou de reproduire ces barres de fer dans les dessins qu’on nous donne, ou d’en parler dans les ouvrages sur la matière. Mais, en vérité, est-ce là un moyen de construction ? N’est-ce pas plutôt un aveu d’impuissance ?