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Mais pendant le XIIe siècle il se produit dans l’art, comme dans la langue, un travail de transformation. Des influences diverses agissent : d’abord et au premier rang, l’influence latine ; puis celles venues d’Orient, qui d’ailleurs sont elles-mêmes en grande partie latines : les profils se contractent, l’accentuation prend plus d’importance. Bientôt vient se mêler à ce travail de transformation un élément nouveau, l’élément logique ; les tâtonnements, les incertitudes disparaissent, et les maîtres laïques inaugurent un système entièrement neuf dans le tracé des profils. Cependant, si brusque ou si profonde que soit une transformation, on peut toujours, à l’aide de l’analyse, retrouver les éléments qui ont servi à la reproduire. Procédons en effet par l’analyse, et voyons comment d’un profil romain les maîtres du XIIIe siècle arrivent à tracer un profil qui ne semble plus rien garder de son origine.

Il est nécessaire, dans tout travail d’analyse, de connaître les éléments primitifs. Les architectes du moyen âge n’avaient pu, à l’époque dite romane, s’emparer que des éléments qu’ils avaient sous la main. Ces éléments étaient les restes des édifices gallo-romains, ceux venus d’Orient, mélanges, des arts grec et romain. Or, ne parlant que des profils, ces éléments, n’étant plus, pour la plupart, constitués logiquement, ne pouvaient donner des imitations ou fournir à des interprétations logiques. Il ne restait guère, dans le tracé des profils des monuments gréco-romains de Syrie, qu’un sentiment délicat des effets, une accentuation marquée, très-supérieure du reste à tout ce que laissait la décadence romaine en Italie et sur le sol de la Gaule. Le caractère saillant du profil grec des beaux temps, c’est l’alternance des surfaces planes et des surfaces moulurées, les premières ayant une importance relative considérable. Soit que l’on considère le profil d’un entablement comme dérivé d’une structure de bois ou d’une structure de pierre, l’apparence du bois équarri ou du bloc de pierre domine, et les moulures ne semblent être que des couvre-joints, des transitions entre les surfaces planes verticales et horizontales. Cela était, comme nous le disions en commençant cet article, très-logique ; mais les Romains, pour lesquels l’art ne s’exprimait guère que par le luxe, la profusion de la richesse, devaient nécessairement prendre cette sobriété délicate pour de la pauvreté ; les entablements, comme tous les membres de l’architecture, se couvrirent donc de moulures plus développées, relativement aux surfaces planes, plus nombreuses et décorées souvent d’ornements. Il suffit de comparer les profils des ordres grecs, dorique, ionique, corinthien, avec ceux des mêmes ordres romains depuis Auguste jusqu’à Trajan, pour constater que ces derniers ajoutent des membres moulurés ou tout au moins leur donnent une plus grande importance relative. Peu à peu les surfaces planes sont étouffées sous le développement croissant des moulures ; si bien qu’à la fin de l’empire, ces surfaces planes ont presque complètement disparu et que les frises mêmes sont tracées suivant des lignes courbes. Mais cependant, le Romain, qui, en fait de formes d’art, ne raisonne point,