Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[sculpture]
— 139 —

Dès les premières années du XIIIe siècle, la façade occidentale de Notre-Dame de Paris s’élevait. À la mort de Philippe-Auguste, c’est-à-dire en 1223, elle était construite jusqu’au-dessus de la rose. Donc — toutes les sculptures et failles étant terminées avant la pose — les trois portes de cette façade étaient montées en 1220. Celle de droite, dite de Sainte-Anne, est en grande partie refaite avec des sculptures du XIIe siècle, mais celle de gauche, dite porte de la Vierge, est une composition complète et l’une des meilleures de cette époque[1]. Il est évident pour tout observateur attentif et non prévenu — car beaucoup d’artistes, bien convaincus que cette sculpture est sans valeur n’ont jamais pris la peine de la regarder[2] — que les statuaires auteurs de ces nombreuses figures ont abandonné entièrement les traditions byzantines, dans la conception comme dans les détails et le faire, qu’ils ont soigneusement étudié la nature et qu’ils atteignent un idéal leur appartenant en propre. Voici (fig. 15) une tête d’un des rois, petite nature, qui garnissent l’une des voussures de cette porte. Certes, cela ne ressemble pas aux types grecs ; ce n’est pas la beauté grecque, mais ne pas reconnaître qu’il y a dans cette tête toutes les conditions de la beauté et d’une beauté singulière, c’est, nous semble-t-il, nier la lumière en plein jour. Le sens moral imprimé sur ce visage n’est pas non plus celui que dénotent habituellement les traits des statues grecques. Ce front large et haut, ces yeux très-ouverts, à peine abrités par les arcades sourcilières, ce nez mince, cette bouche fine et un peu dédaigneuse, ces longues joues plates, indiquent l’audace réfléchie, une intelligence hardie, emportée à l’occasion. Mais ce n’est plus là, comme dans les figures du XIIe siècle de Chartres, le portrait d’un individu ; c’est un type et un type qui ne manque ni de noblesse ni de beauté. Nous donnerions trop d’étendue à cet article, s’il nous fallait présenter un grand nombre de ces figures, toutes soumises évidemment à un type de beauté admis, mais qui ne se ressemblent pas plus que ne se ressemblent entre eux les visages des personnages sculptés sur les métopes du Parthénon.

Si nous nous attachons à l’exécution de cette statuaire, nous trouvons ce faire large, simple, presque insaisissable des belles œuvres grecques ; c’est la même sobriété de moyens, le même sacrifice des détails, la

  1. Voyez Porte, fig. 68.
  2. Nous n’exagérons pas. Possédant des moulages de quelques-unes des têtes provenant de cette porte, il nous est arrivé de les montrer à des sculpteurs, dans notre cabinet. Frappés de la beauté des types et de l’exécution, ceux-ci nous demandaient d’où provenaient ces chefs-d’œuvre. Si nous avions l’imprudence de leur avouer que cela était moulé sur une porte de Notre-Dame de Paris, immédiatement l’admiration tombait dans la glace. Mais si, mieux avisés, nous disions que ces moulages venaient de quelque monument d’Italie — or au commencement du XIIIe siècle la sculpture italienne était assez barbare — c’était une recrudescence d’enthousiasme. Le dogmatisme académique, non seulement ne permet pas d’admirer ces œuvres françaises, mais il considère comme une assez méchante action de les regarder. Tout au moins ce serait une bien mauvaise note.