Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[sculpture]
— 154 —

monde de statues égal, au moins, au monde de statues des villes grecques ; il arrivera un moment en France, à Paris, là où vous placez le centre de vos écoles, où des hommes, Français comme vous, nieront votre mérite, — cela vous importe peu, — mais essayeront de faire croire que vous n’avez pas existé, que vos œuvres ne sont pas de vous, qu’elles sont dues à un hasard protecteur, et donneront, comme preuve, que vous n’avez pas signé vos statues… » les bonnes gens n’auraient pas ajouté foi à la prédiction. Cependant le prophète eût bien prophétisé.

Nous ne demanderions pas mieux ici que de nous occuper seulement de nos arts anciens ; mais il est bien difficile d’éviter les parallèles, les comparaisons, si l’on prétend être intelligible. La statuaire est un art qui possède plus qu’aucun autre le privilège de l’unité. Elle n’est point comme l’architecture forcée de se soumettre aux besoins du moment, comme la peinture dont les ressources sont tellement variées, infinies, qu’entre une fresque des catacombes et un tableau de l’école hollandaise il y a mille routes, mille sentiers, mille expressions diverses et mille manières différentes de les employer. Faire l’histoire de la statuaire d’une époque, c’est entrer forcément dans toutes les écoles qui ont marqué. Qu’on veuille donc bien nous pardonner ces excursions répétées soit dans l’antiquité, soit chez nos statuaires modernes. Pourrions-nous faire saisir la qualité que nous appelons dramatique, dans la statuaire du moyen âge, sans chercher jusqu’à quel point les anciens l’ont admise et ce que nous en avons fait aujourd’hui ?

Il est nécessaire d’abord d’expliquer ce que nous considérons comme l’élément dramatique dans la statuaire. C’est le moyen d’imprimer dans l’esprit du spectateur, non pas seulement la représentation matérielle d’un personnage, d’un mythe, à un acte, d’une scène, mais tout un ordre d’idées qui se rattachent à cette représentation. Ainsi une statue parfaitement calme dans son geste, dans l’expression même de ses traits, peut posséder des qualités dramatiques et une scène violente n’en posséder aucune. Telle statue antique, comme l’Agrippine du Musée de Naples, par exemple (admettant même qu’on ne sût pas quel personnage elle représente), est éminemment dramatique, en ce sens que dans sa pose affaissée, dans l’ensemble profondément triste et pensif de la figure, on devine tout une histoire funeste, tandis que le groupe de Laocoon est bien loin d’émouvoir l’esprit et de développer un drame. Ce sont des modèles, et les serpents ne sont-ils qu’un prétexte pour obtenir des effets de pose et de muscles. Nous choisissons exprès ces deux exemples dans une période de la statuaire où l’on cherchait précisément cette qualité dramatique, et où on ne l’obtenait que quand on ne la cherchait pas, c’est-à-dire dans quelques portraits. Bien que dans la statuaire la beauté de l’exécution soit plus nécessaire que dans tout autre art, cependant l’élément dramatique n’est pas essentiellement dépendant de cette exécution. Tel bas-relief des métopes de Sélinonte, quoique d’une exécution primitive, roide, telle sculpture du XIIe siècle qui présente les mêmes im-