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[sculpture]
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attention, pour préciser le moment où les artistes abandonnent les traditions romanes. C’est la cathédrale de Sens. M. Challe, au congrès scientifique d’Auxerre, en 1859, sur la question posée par M. Parker, d’Oxford, a revendiqué pour la cathédrale de Sens le titre de « premier des monuments gothiques ». D’accord avec M. F. de Verneilh, nous ne saurions partager cette opinion. Par le système d’architecture adopté, mais plus encore par le style de la sculpture, la cathédrale de Sens doit être postérieure de quelques années à l’église abbatiale de Saint-Denis.

« Il me paraît très-douteux, dit M. Félix de Verneilh[1], que l’édifice (la cathédrale de Sens) ait été commencé avant le chœur de Saint-Denis, et, dans tous les cas, il a été bâti beaucoup plus lentement. En 1163, on en parle comme d’une église « neuve ». Elle était même déjà livrée au culte, car, au lieu de consacrer le chœur entier, comme à Saint-Germain des Prés, le pape Alexandre n’est invité, à son passage, qu’à bénir un autel, celui de Saint-Pierre et de Saint-Paul. On sait, d’ailleurs, que l’évêque Hugues de Toucy, qui occupait le siège de Sens de 1143 à 1168, a « beaucoup travaillé » à la cathédrale et l’a « presque achevée » ; qu’il y a notamment fait poser les stalles de chêne, après l’achèvement du chœur de l’église que « le bon Henri avait commencé. » — Mais le chroniqueur qui s’exprime ainsi vivait en 1294. À cette distance, il pouvait ignorer si l’archevêque Henri de France avait commencé la cathédrale au début ou à la fin de son administration, ou même s’il restait quelque chose de ses constructions. Pour Henri comme pour Hugues, on mentionne la part qu’ils ont prise à l’édification de la cathédrale, immédiatement après leur élection. C’est leur principale œuvre, celle que l’on cite la première. Un autre chroniqueur, cette fois à peu près contemporain, car il s’arrête à 1173, se borne à dire : 1122. Obiit Daimbertus, successit Henricus. Hic incipit renovare ecclesiam sancti Stephani. Eidem successit Hugo 1143.

On est donc libre de croire que, loin d’avoir été commencée vers 1122 ou 1124, la cathédrale de Sens n’a été réellement fondée que dans les dernières années de Henri de France, ou, ce qui revient au même, qu’elle n’est sortie de terre qu’à cette époque. »

Nous ajouterons que le système de structure, les profils (détail si essentiel pour constater une date précise), ne sauraient appartenir à 1124, ni même à 1130, date de la construction du narthex de Vézelay ; que la sculpture, enfin, est plus avancée que celle de l’église de Suger dans la voie tracée, c’est-à-dire qu’elle tend davantage à imiter les objets naturels et à s’affranchir des influences auxquelles les romans s’étaient soumis de 1090 à 1140. On ne saurait douter de la lenteur apportée dans la construction de la cathédrale de Sens, quand on examine les œuvres hautes. Les chapiteaux des arcs-doubleaux des grandes voûtes, ceux du triforium, sont déjà empreints, en grande partie, de l’imitation de la flore, et rappellent,

  1. Annales archéologiques, t. XXIII, p. 128.