Page:Viollis - Le secret de la reine Christine, 1944.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Ah ! oui, je ne t’ai pas encore dit car, au fond, cela ne tire guère à conséquence. Et tu connais à peine Antoinio de Pimentel, l’ancien ambassadeur d’Espagne ?

— Mais si ! Dans « la mort d’Adonis », cette mascarade que nous jouâmes pendant une de mes visites, il figurait Adonis et moi Cypris.

— Eh bien, il est beau et il a su me plaire.

— On l’a beaucoup dit, en effet.

— Ragots ! Il est vrai que nous sommes allés assez loin dans certains petits jeux que l’on nomme les bagatelles de la porte. Mais il ne l’a pas franchie. Ni lui, ni personne. Et je t’avoue même que j’en ai assez d’entendre certains docteurs à bésicles affirmer que cette porte est barrée. Si elle l’est, c’est par ma volonté de ne pas faire déchoir la reine de Suède.

— Ce n’est pourtant point par amour pour Pimentel que Votre Majesté abdique ?

— Certes, non. Lui ou un autre… C’est par amour de moi-même. J’étais lasse. Lasse du Conseil que, d’ailleurs, je ne convoquais plus guère qu’une fois par mois ; lasse des affaires de l’État qui, en ce temps de paix, ne m’intéressaient plus ; et des reproches d’Oxenstiern qui, après m’avoir contrecarrée tant d’années, se plaignait maintenant de ne pouvoir obtenir de moi une parole sérieuse ; et des criailleries des nobles suédois affamés de pouvoir, de prébendes ; et des lamentations du Grand Trésorier sur mes dépenses excessives en dotations pour mes protégés, en tableaux, en objets d’art, en livres précieux. Comme si l’argent, de même que la santé, n’était pas fait pour être prodigué ! Jusqu’à mes savants, pour lesquels j’avais subi tant d’avanies, qui se querellaient autant que les bouffons de ma mère, que mes singes dans leur cage ! Enfin, mon peuple lui-même m’abandonnait. Il lançait des pierres à mes amis, sous prétexte qu’ils étaient catholiques et me corrompaient…

Christine, repoussant Ebba, s’était levée. Les bras croisés sur la poitrine, les yeux pleins d’éclairs, elle arpentait la pièce. Les cheveux flottants sur sa robe blanche, dans cette quasi-obscurité, elle apparaissait comme son propre fantôme.

— Je sentais que c’était fini, que je ne ferais plus rien de grand. Un dégoût amer m’empoisonnait l’âme. Je ne voulais pas retomber