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le secret de la reine christine

Leurs deux grands nez courbés, si pareils, s’étaient toisés, affrontés, séparés. Désenchantés, ils ne se revirent plus.

C’est alors que Christine écrivit de Bruxelles une autre lettre à sa chère Ebba :

« J’oubliais de vous dire que ma santé est brillante, mon amour toujours au pinacle, que je reçois ici des honneurs par-dessus les yeux, et que je suis bien avec tout le monde, excepté avec le prince de Condé que je ne vois jamais qu’à la comédie et au Cours. Mes occupations sont de bien manger, bien dormir et le reste, étudier peu, juger beaucoup, rire de même, voir les comédies françaises, italiennes, espagnoles, et passer le temps agréablement. Enfin je ne vais plus aux sermons, je méprise tous les orateurs ; après ce que dit Salomon, tout le reste n’est que misère, pitié et sottise, car chacun doit vivre content en mangeant, buvant et chantant.

« Adieu, Belle, vous m’entendez et souvenez-vous de votre

« CHRISTINE. »

Singulier langage sous la plume d’une catéchumène ! Sans Pimentel, l’ancien ambassadeur d’Espagne en Suède, Christine se serait-elle seulement souvenue de sa promesse de conversion ? C’est d’aussi loin que Madrid que celui-ci était arrivé tout courant, espérant reprendre son idylle avec Christine et cette fois la mener à terme. Hélas ! pour lui… Ses quarante ans, ses rides, sa perruque ne purent, malgré son esprit nuancé de diplomate-érudit et son expérience du monde, rivaliser avec les yeux bleus aux cils noirs, la jeune et spirituelle fantaisie du favori. Il dut, à défaut de plus tendres, se contenter d’entretiens politiques et religieux. Et il en profita pour pousser vivement l’abjuration de la reine dont il avait fait une affaire espagnole.

Ceci se passa d’abord sans tapage. La veille de Noël 1654, Christine fit atteler un traîneau doré en forme de sirène. Les grelots tintent joyeusement, la cloche de la chapelle du château carillonne. Les rues neigeuses étincellent féeriquement. La néophyte est en satin noir brodé d’or. Devant l’archiduc Léopold, Pimentel et deux autres Espagnols, elle confesse sa foi catholique et communie de la main de son directeur de conscience, le Père Gueme.