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le secret de la reine christine

Elle vit la Grande Mademoiselle qui s’écria :

— C’est un joli petit garçon !

Elle soupa avec le Cardinal de Mazarin qui appréciait sa connaissance de l’Europe et son souple esprit d’intrigue.

Après le repas, le jeune roi Louis XIV qui avait dix-huit ans et Monsieur son frère qui en avait seize s’étant glissés parmi les pages du Cardinal pour l’apercevoir, celui-ci les présenta à la reine comme deux des gentilshommes les plus qualifiés de la France. De son œil vif, la reine les reconnut aussitôt, les releva, sourit et dit :

— Ils sont, en effet, de bonne maison et paraissent être nés pour porter des couronnes !

Puis elle se rendit à Compiègne où se trouvait la Cour, et les deux reines échangèrent révérences et compliments. Christine admira congrument la splendeur de la peau et des mains d’Anne d’Autriche. De son côté celle-ci déclara :

— Cette reine a les yeux beaux et vifs, de la douceur dans le visage et cette douceur est mêlée de fierté…

Bref les deux souveraines furent charmées l’une de l’autre. Ou du moins l’affirmèrent.

Mais bientôt les extravagances de Christine et la liberté de ses manières ne fut pas sans choquer la société la plus raffinée du monde.

On chuchota dans les ruelles, derrière les éventails.

— Elle jure le nom de Dieu dans les huit langues qu’elle connaît !

— Et quels propos libertins pour une nouvelle catholique !

— L’avez-vous vue l’autre jour à Notre-Dame, debout et bavardant pendant le sermon ?

— Et devant le roi et la reine-mère, vautrée dans son fauteuil, tête en bas, jambe de ci, jambe de là…

— Et ce jour où, en compagnie lettrée, elle semblait rêver jusqu’à l’assoupissement ?

— Oui, mais elle se réveilla pour chanter à tue-tête une chanson de soldat.

— Ces gens-là m’ennuient, disait le lendemain Christine à sa suivante. Hier soir, pendant qu’ils m’accablaient de compliments insipides, c’est à mon amant que je pensais. Et je me surpris tout à coup à chanter comme l’an dernier, dans les forêts du Danemark.