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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

cevait tout à coup une tête grimaçante de gargouille qui se dressait à son chevet et la contemplait en ricanant silencieusement. Elle poussait des cris d’effroi :

— Mère, mère, j’ai peur ! C’est encore une de vos canailles qui m’a réveillée !

Elle appelait ainsi les petits monstres dont elle avait horreur. Son sommeil était hanté de cauchemars. Et quand d’aventure elle sortait, le ciel, les arbres, les fleurs lui semblaient moins réels que la chapelle sépulcrale et la lumière des cierges tremblants.

— La mort a marqué mon enfance, disait-elle plus tard. Je restais sans goût et sans forces pour jouer et n’avais de plaisir avec aucun enfant de mon âge. Quant à ma mère, pour avoir été vraiment inconsolable, elle a triomphé de toutes les femmes de Suède qui simulent si péniblement la douleur en de semblables circonstances.

Un an passa. Les régents, d’abord respectueux de la douleur de la veuve, se lassèrent. Ils voyaient l’enfant s’étioler, maigrir, les nerfs à vif. Un jour, le grand Justicier Per Brahe, grave et sévère dans son costume de velours noir, apparut à Nykoping :

— Madame, c’est assez pleuré. Il faut vous séparer de la dépouille de votre mari, notre roi bien-aimé. Dieu veut que les morts reposent avec les morts. Les prédécesseurs de Sa Majesté l’attendent dans la crypte royale…

Des cris de douleur, des flots d’imprécations s’échappèrent des lèvres tuméfiées de Marie-Éléonore :

— Jamais ! Vous êtes des monstres… Vous voulez tuer de nouveau votre roi !

— Si vous vous obstinez, Madame, je vous enlève votre fille, notre future reine. Le peuple s’inquiète de la voir ainsi séquestrée. Il craint pour sa santé et même pour sa raison.