Marie-Éléonore finit par céder. Elle consentit à se séparer du cadavre de son époux qui fut inhumé à Stockholm dans une crypte où elle passait chaque jour de longues heures. Mais elle n’en fut pas meilleure éducatrice.
Voulant toujours garder son enfant auprès d’elle, elle s’opposait à ce qu’elle poursuive ses études :
— En ai-je fait moi-même ? Et n’en suis-je pas moins devenue la femme du plus grand roi d’Europe ?
Elle faisait coucher la fillette dans une chambre glacée, n’autorisait pas les promenades à pied qui l’auraient distraite et fortifiée, ne lui voulait point d’autre compagnie qu’elle-même. Elle avait parfois d’étranges lubies. C’est ainsi qu’elle luttait obstinément contre le dégoût qu’éprouvait Christine pour le vin, la bière, pour toute boisson alcoolisée.
La petite, torturée par la soif, découvrit un jour le vase où les femmes de sa mère conservaient la rosée dont celle-ci se servait pour les soins du visage. Elle la but.
— Boire ma rosée ! gémissait Marie-Éléonore, les yeux au ciel.
— Fallait-il donc que je meure ? répondit l’enfant.
Elle n’en fut pas moins fouettée pour cette peccadille.
Mais la reine-mère enseignait surtout à sa fille la haine des Régents, des Conseillers d’État, le mépris pour les institutions, les coutumes de la Suède que, Prussienne exaltée, elle ne pouvait souffrir, depuis la mort du Roi. Elle jeta dans l’âme de son enfant ces germes d’hostilité contre son pays qui plus tard devait pousser Christine à l’abandonner pour vagabonder à travers le monde.
C’est en 1636 seulement qu’Axel Oxenstiern revint d’Allemagne où il avait fait un long séjour diplomatique. Quand il vit Christine grandie, certes, mais pâle, maigre, répondant à peine à ses questions, silencieuse et raidie, il fut consterné.
— Qu’a-t-on fait de cette enfant ? s’écria-t-il. Elle vit claustrée comme une moinesse et ne nous connaît ni ne nous aime ! À la veille de Lutzen, son père, mon roi vénéré, ne m’écrivait-il pas pour me recommander, s’il lui arrivait malheur, de la soustraire à la domination maternelle ? Il n’est que temps d’y songer !