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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Je m’efforçais même de comprimer sous l’épaisse étoffe de mon justaucorps mes seins naissants qui, du reste même aujourd’hui, ne m’ont jamais beaucoup alourdie par leurs rondeurs. Qu’en penses-tu ? Ebba ?

— Je pense, Madame, que Diane, comme vous, avait un corps d’éphèbe.

— Tu sais d’ailleurs que je n’ai jamais apprécié les outres. Les pommes me suffisant. Ainsi, toi, Ebba…

— Oh ! Madame, je vous en prie…

— Bon, bon ! Je ne veux point alarmer ta pudeur, ni chasser sur les terres de M. Jacob de la Gardie. Revenons à mes seize ans : je ne portais aucun bijou ; une bague était le seul morceau d’or que je souffrisse sur ma personne. Jamais ni voile, ni masque. Ni de frisure sur mes cheveux.

— Vous n’avez pas changé, Christine.

— Mais pour la force et l’agilité du corps, j’étais alors un petit être indomptable et indompté. Dix heures de chasse passées à cheval ne me faisaient, corbleu ! pas peur. J’insultais mes pages quand ils donnaient quelque signe de fatigue. Il m’arrivait même de les cravacher ou de leur botter le derrière, car la douceur ne figurait point parmi mes qualités…

— Vous êtes parfois si tendre !

— … Et je maniais mon coursier avec tant de vigueur et d’habileté que personne ne pouvait m’imiter ni me suivre. Le froid, le vent, la pluie étaient mes compagnons habituels. Quand l’hiver glaçait le bord des précipices et des mers, quelle joie de me laisser emporter par des rennes ou des élans qui me faisaient faire plusieurs milles d’un seul vol !

Ebba saisit la main de Christine et la porta à ses lèvres avec un petit cri d’effroi.

— Vous auriez pu vous tuer, mon amie chérie !

— C’est bien ce que craignaient régents et conseillers. Que de semonces j’ai dû subir ! Je ne m’appartenais pas, mais au pays… Je pouvais priver la Suède de sa reine et la plonger dans l’anarchie… Je serais responsable de ses malheurs… Et tutti quanti ! J’écoutais d’une oreille distraite et sitôt rentrée au palais, c’était pour me jeter