avec la même fougue sur un poète grec ou latin, un écrivain français, un philosophe allemand, et lire, lire jusqu’aux premiers rayons de l’aurore…
— Mais votre santé ?
— À cet âge-là, j’étais en fer ! Et l’on n’osait trop me morigéner ni me contraindre car j’apportais la même rage d’apprendre dans toutes mes études. Mes maîtres étaient fiers de moi. Oui, même le grave Oxenstiern qui prétendait alors qu’à peine sortie de l’enfance, je n’ignorais rien de l’art de gouverner. Et puis, je n’étais pas commode. Et je le savais, mordieu ! J’ai retrouvé aujourd’hui ce calepin dans un tiroir de la chambre où, il y a onze ans, j’ai passé un mois de printemps. Tiens, lis tout haut. Moi j’ai les yeux qui me brûlent depuis leur sacré banquet. Tu vas voir comment je me jugeais alors…
De sa douce petite voix d’écolière, Ebba lut :
« Méfiante, soupçonneuse, je ne veux point de rang secondaire. Primer est mon désir dominant, n’en déplaise à ceux qui m’ont formé l’esprit et le cœur. D’un caractère emporté, acerbe… »
— Que de fois, si j’avais eu le pouvoir suprême, aurais-je fait couper des têtes devant moi, quitte à le regretter ensuite ! interrompit Christine.
— Mais vous êtes trop bonne pour cela ! s’écria Ebba.
— Pas tant que tu crois, mon enfant. Je me suis sentie bien souvent envahie de fureur homicide ! Et il m’est arrivé d’être impitoyable aux ennemis de l’État… Mais continue, Ebba.
« …D’un caractère emporté, acerbe, reprit la jeune femme, je suis de plus impatiente de toute supériorité. J’aime assez railler, lancer des brocards bien mordants, bien caustiques, ce qui m’égaie ; mais la répartie me met de mauvaise humeur ; soudain ma satisfaction s’évanouit, je sourcille, je colère. Si mes répliques me valent des ripostes, j’entre en fureur ! »
Relevant sa jolie tête d’or crêpelé, les yeux grands ouverts par la surprise et l’admiration :
— Quelle lucidité chez une enfant de seize ans ! s’écria Ebba. Mais peut-être vous étiez-vous un peu sévère ?
— Non, répondit mélancoliquement Christine, en hochant la tête.