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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Je me connais, je suis toujours capable de cruauté. Si je dissimule davantage aujourd’hui, au fond, je suis restée la même et parfois je me fais peur…

Dès l’âge de quatorze ans, Christine avait donc été définitivement privée de sa mère. Une orpheline. Aucune influence féminine.

Autour d’elle, rien que des hommes : tuteurs, régents, précepteurs et professeurs, courtisans.

Elle devint pour tous hommes de cour et hommes du peuple, ce que son père avait voulu qu’elle fût : le prince héritier. Elle-même en oubliait qu’elle était femme.

Pourtant d’autres s’en souvenaient. N’était-elle pas un parti magnifique ? La reine la plus célèbre, la plus enviée d’Europe ? Souveraine d’un pays non seulement riche et prospère, mais qui s’était imposé par les armes et couvert de gloire ?

Aussi, à peine eut-elle seize ans qu’elle devint le point de mire des cours européennes, le centre de vastes et multiples intrigues matrimoniales.

Qui sait si en lui faisant donner cette éducation virile, le roi Gustave-Adolphe n’avait-il point en dessein d’endurcir le cœur de sa fille contre tant de convoitises ?

Christine d’ailleurs n’avait aucun goût pour le mariage. Elle ne pouvait se tenir de pouffer de rire en dénombrant devant Ebba ses divers prétendants.

— Il y eut d’abord, fit-elle, les fils de Christian IV de Danemark, Frédéric et Ulric.

— Comment ! Deux à la fois ? Deux frères rivaux ? Peste, excusez du peu ! s’écria Ebba. Ah ! je comprends maintenant les caresses et mignardises du souverain danois pour la reine Marie-Éléonore. En faisant les yeux doux à la mère, c’est vers la fille qu’il louchait.

— Vers la fille ? Non ! Vers sa couronne. Pauvre maman ! Avec quelle naïveté elle tomba dans le panneau !