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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Car, dès seize ans, la petite reine ne manquait point de verdeur dans son langage.

Elle se faisait de l’amour une très haute idée, mais n’y voyait nul rapport avec le mariage.

— Ce serait trop heureux d’être à la fois amoureux et marié ! disait-elle. Le plus souvent, les gens s’épousent sans se connaître et se haïssent dès qu’ils se connaissent…

Cette aversion de Christine pour le mariage croissait avec l’âge, en même temps que son orgueil de femme et de reine. La sujétion conjugale lui apparaissait la plus odieuse des servitudes.

— Celui qui sait appartenir à lui-même, disait-elle, ne devrait jamais appartenir à un autre…

Ses conseillers, néanmoins, ceux même qui s’étaient le plus vivement opposés à certaines alliances, commencèrent à s’émouvoir de ce parti-pris. Car les années passaient. De leur côté, les États manifestèrent plusieurs fois leur déplaisir de ne pas voir la reine donner un héritier au trône des Vasa. Christine hochait la tête.

— Il faut plus de courage pour se marier, répétait-elle, que pour entreprendre une guerre…

Ses déesses préférées restaient Minerve, la très sage, et Diane, la virginale Chasseresse.

Quand on la pressait de questions pour connaître les raisons de ce goût pour le célibat, elle ne répondait guère que par énigmes.

— Les Muses demeuraient pucelles, disait-elle avec un sourire ambigu ; quant aux Amazones, elles se coupaient le sein pour marquer leur désir de guerroyer en hommes et leur volonté de ne point convoler.

— Est-ce une Amazone lettrée ou une muse équestre ? demandait un jour un des écrivains qu’elle attirait à sa Cour.

Vierge farouche, Christine n’était nullement une oie blanche. Elle n’ignorait rien des réalités et même des raffinements de l’amour. Il n’y avait point pour elle de domaine interdit. Toute jeune, son esprit d’une insatiable curiosité l’avait entraînée à chercher chez les auteurs latins et grecs tout ce qui pouvait l’éclairer. Elle savait par cœur, disait-on, le Satyricon de Pétrone et se plaisait à réciter les passages les plus scabreux des odes de Catulle et des idylles de Théocrite.