Page:Visan – Lettres à l’Élue, 1908.djvu/53

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tendus séchaient, proprement triés, les muscats poétiques et les orgueilleux chasselas.

Je touchais peu à ces éditions rares, non pas d’abord parce que cela m’était défendu, mais parce que je préférais à ces recueils délicats et sans vie, la lecture en plein air, sous les branches succulentes, retenues par des tuteurs. J’enseignais mon goût au hasard des rencontres, je nourrissais mon estomac de quantité de brochures juteuses. Mon palais autodidacte, réfractaire à une éducation méthodique, engloutissait pêle-mêle la saveur polissonne des étrangle-chats, le fumet chaud des capendus rouges, le jus noir et sucré des morillons.

Oui, j’ai vraiment vécu et digéré ma science. Mais, semblable à ces enfants dont parle La Bruyère, « drus et forts du bon lait qu’ils ont sucé et qui battent leur nourrice », j’ai pendant longtemps désappris le chemin de l’école buissonnière, oublié les leçons proposées par les arbres, mes aînés. Il m’a fallu revenir de très loin, exécuter de périlleux cir-