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Page:Vitrac - Victor ou les Enfants au pouvoir, 1929.djvu/18

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VICTOR

On ne te croira pas.

LILI

On ne me croira pas ?

VICTOR

Non.

LILI

Et pourquoi ?

VICTOR

Tu verras…

LILI

Je voudrais bien que tu me dise pourquoi ?

VICTOR

Tu verras…

LILI

Mais, c’est affreux ! C’est abominable ! Je ne t’ai rien fait, moi, mon petit Victor ! N’ai-je pas toujours été gentille, ne t’ai-je pas évité…

VICTOR

Tu ne m’as rien évité, jamais.

LILI

Dieu du Ciel ! qu’est-ce qu’il a ? Qu’as-tu ?

VICTOR

J’ai neuf ans. J’ai un père, une mère, une bonne. J’ai un navire à essence qui part et revient à son point de départ, après avoir tiré deux coups de canon. J’ai une brosse à dents individuelle à manche rouge. Celle de mon père a le manche bleu. Celle de ma mère a le manche blanc. J’ai un casque de pompier, avec ses accessoires, qui sont ma médaille de sauvetage, le ceinturon verni et la hache d’abordage. J’ai faim. J’ai le nez régulier. J’ai les yeux sans défense, et les mains sans emploi, parce que je suis trop petit. J’ai un livret de caisse d’épargne, où l’oncle Octave m’a fait inscrire cinq francs le jour de mon baptême, avec le prix du livret et du timbre ça lui a coûté sept francs. J’ai eu la rougeole à quatre ans et sans