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UNE FEMME M’APPARUT…

tant l’expression de ses lèvres grasses était libidineuse. Il ressemblait terriblement à un marchand de bazar levantin. Son geste ample semblait déployer des tapis trop éclatants devant des clients imaginaires. Sa conversation, comme sa manière d’écrire, évoquait les odeurs écœurantes, les couleurs barbares, tout le mauvais goût d’un Orient de pacotille. Il parlait trop, dans l’espoir, sans doute, de faire la contrepartie du silence de sa femme, la romancière au beau génie tumultueux, qui ne parlait pas assez. Lointaine, elle paraissait égarée en un rêve perpétuel. Les plis flottants de sa robe verte ruisselaient autour de son corps fluide et la faisaient ressembler à une algue. Une fleur de géranium détachée ensanglantait ses cheveux ténébreux.

Un peu à l’écart, Ione, la sœur élue de mon enfance, s’enfiévrait d’une pensée hallucinante. Le front trop large et trop haut écrasait tout ce pensif visage. Il hypnotisait les regards et faisait presque oublier les yeux bruns mystérieusement tristes et la bouche tendre.