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Page:Vivien - Une femme m’apparut, 1904.djvu/248

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UNE FEMME M’APPARUT…

douleur est plus forte que la joie. On peut oublier une joie, on n’oublie jamais une douleur. Je suis ta souffrance, c’est pourquoi tu ne cesseras jamais de m’aimer. La souffrance seule est vraie, et le bonheur n’est pas.

— Pourquoi le possible serait-il l’insaisissable » demandai-je. « J’ai la certitude que le bonheur est tangible, qu’il est aussi vrai que le rêve. Mais il faut lutter plus âprement encore pour le garder que pour le conquérir.

— Je convoite pour toi un idéal plus haut que le bonheur. Je te veux libre, afin que rien ne te diminue en t’absorbant. Je te veux libre, afin que tu puisses contempler ce qui est au-dessus de toi. Tu es si faible quand tu aimes, ne fût-ce qu’un peu et confusément, comme tu m’as aimée ! Et je crains pour nous le mal que celles-là te feront. »

J’écoutais avec un étonnement troublé cette gravité nouvelle dans sa voix.

« Je songe, » dit-elle, « au Passage du Géant. L’avenir est pareil à un chemin de montagne qu’il faut creuser dans le rocher. La foule s’ar-