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UNE FEMME M’APPARUT…

lutteur de foire et du garçon boucher. Je n’ai jamais pu m’absorber dans la contemplation des tendons et des muscles. »

Elle se recueillit en souriant :

« S’il est vrai, » continua-t-elle, « que l’âme revêt plusieurs apparences humaines, je naquis autrefois à Lesbos. Je n’étais qu’une enfant chétive et sans grâce, lorsqu’une compagne plus âgée m’emmena dans le temple où Psappha invoquait la Déesse. J’entendis l’Ode à l’Aphrodita. La voix incomparable se déroula, plus harmonieuse que l’eau. Les strophes déferlaient comme des vagues, et mouraient et renaissaient avec un bruit de marées. En vérité, j’entendis autrefois l’Ode à l’Aphrodita. Jamais le lumineux souvenir ne pâlit à travers les années, ni même à travers les siècles. Et pourtant, je n’étais qu’une enfant, et, à cause de ma laideur et de mon trouble taciturne, Psappha ne m’aima point. Moi, je l’aimai, et lorsque je possédai plus tard des corps féminins, mes sanglots de désir allaient vers Elle. J’étais en Sicile quand j’appris sa mort ; mais cette mort était si glo-