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aube.

situation, Jean s’intéressait d’esprit à la pièce qu’il avait sous les yeux ; pourvu d’une bonne loge, avec accès dans les coulisses, il regardait en spectateur amusé la comédie humaine.

Quand je le revis alors, tranquillement installé dans ce train quotidien, je me demandai si l’usure mondaine n’avait pas détruit chez celui-là, comme chez nous tous, le ressort intérieur que j’avais connu si vigoureux, l’originalité native qui faisait jadis l’attrait de mon petit camarade à Sainte-Barbe, de mon compagnon en Grèce. Eh quoi ! lui aussi, l’enfant de montagne trempé par la mer, l’indomptable rêveur d’impossible, la vie l’aurait dompté ? — Ainsi, lui disais-je, le Bédouin est bien mort, l’irremplissable est gavé ?

— Non, faisait Jean, mais il accepte le vide. Que veux-tu ? Dans notre temps, il n’est si dur caillou qui résiste au frottement de la vague sociale ; à force de le rouler, elle en fait un galet poli comme les autres. On se révolte, on se raccroche aux lambeaux de son idéal en se déchirant les mains, on en demande la réalisation à ces braves figurantes de l’amour, à nos bons pantins de la politique, de l’art, de la pensée ; puis on vieillit, on se soumet,