Page:Vogüé - Le Roman russe.djvu/281

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mise la lecture du jugement, qui dura une demi-heure. Comme le greffier commençait, Féodor Michaïlovitch dit à son voisin, Dourof : « Est-il possible que nous soyons exécutés ? » Cette idée se présentait alors pour la première fois à son esprit. Dourof répondit d’un geste, en lui montrant une charrette chargée d’objets dissimulés sous une bâche qui semblaient être des cercueils. La lecture finit sur ces mots : « … sont condamnés à la peine de mort et seront fusillés. » Le greffier descendit de l’échafaud, un prêtre y monta, la croix entre les mains, et exhorta les condamnés à se confesser. Un seul, un homme de la classe marchande, se rendit à cette invitation ; tous les autres baisèrent la croix. On attacha au poteau Pétrachevsky et deux des principaux conjurés. L’officier fit charger les armes à la compagnie rangée en face et prononça les premiers commandements.

Comme les soldats abaissaient leurs fusils, un guidon blanc fut hissé devant eux ; alors seulement, les vingt et un apprirent que l’Empereur avait réformé le jugement militaire et commué leur peine. Les télègues qui attendaient au pied de l’échafaud devaient les conduire en Sibérie. On détacha les chefs ; l’un d’eux, Grigorief, avait été frappé de folie et ne retrouva jamais ses facultés[1].

Tout au contraire, Dostoïevsky a souvent affirmé depuis, et de la meilleure foi du monde, qu’il serait immanquablement devenu fou dans la vie normale, si cette épreuve et celles qui suivirent lui eussent été

  1. Ces faits sont empruntés à l’excellente biographie placée en tête de la Correspondance par M. Oreste Miller, et composée avec les récits de tous les survivants de cette époque.