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CHAPITRE II.

de mœurs, depuis ceux de l’Asie antique jusqu’aux plus récents de l’Europe, ce nom d’une terre natale réveilla en moi le sentiment de la patrie ; et, tournant vers elle mes regards, j’arrêtai toutes mes pensées sur la situation où je l’avais quittée[1].

Je me rappelai ses campagnes si richement cultivées, ses routes si somptueusement tracées, ses villes habitées par un peuple immense, ses flottes répandues sur toutes les mers, ses ports couverts des tributs de l’une et de l’autre Inde ; et comparant à l’activité de son commerce, à l’étendue de sa navigation, à la richesse de ses monuments, aux arts et à l’industrie de ses habitants tout ce que l’Égypte et la Syrie purent jadis posséder de semblable, je me plaisais à retrouver la splendeur passée de l’Asie dans l’Europe moderne ; mais bientôt le charme de ma rêverie fut flétri par un dernier terme de comparaison. Réfléchissant que telle avait été jadis l’activité des lieux que je contemplais : Qui sait, me dis-je, si tel ne sera pas un jour l’abandon de nos propres contrées ? Qui sait si sur les rives de la Seine, de la Tamise, ou du Sviderzée, là où maintenant, dans le tourbillon de tant de jouissances, le cœur et les yeux ne peuvent suffire à la multitude des sensations ; qui sait si un voyageur comme moi ne s’asseoira pas un jour sur de muettes ruines et ne pleurera pas solitaire sur la

  1. En 1782, à la fin de la guerre d’Amérique.