Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/115

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Et vous semblez d’un sang fait pour donner des lois
À l’arabe insolent qui marche égal aux rois.

Palmire.

Nous ne connaissons point l’orgueil de la naissance ;
Sans parents, sans patrie, esclaves dès l’enfance,
Dans notre égalité nous chérissons nos fers ;
Tout nous est étranger, hors le dieu que je sers.

Zopire.

Tout vous est étranger ! Cet état peut-il plaire ?
Quoi ! Vous servez un maître, et n’avez point de père ?
Dans mon triste palais, seul et privé d’enfants,
J’aurais pu voir en vous l’appui de mes vieux ans ;
Le soin de vous former des destins plus propices
Eût adouci des miens les longues injustices.
Mais non, vous abhorrez ma patrie et ma loi.

Palmire.

Comment puis-je être à vous ? Je ne suis point à moi.
Vous aurez mes regrets, votre bonté m’est chère ;
Mais enfin Mahomet m’a tenu lieu de père.

Zopire.

Quel père ! Justes dieux ! Lui ? Ce monstre imposteur !

Palmire.

Ah ! Quels noms inouïs lui donnez-vous, seigneur !
Lui, dans qui tant d’États adorent leur prophète !
Lui, l’envoyé du ciel, et son seul interprète !

Zopire.

Étrange aveuglement des malheureux mortels !
Tout m’abandonne ici pour dresser des autels
À ce coupable heureux qu’épargna ma justice,
Et qui courut au trône, échappé du supplice.

Palmire.

Vous me faites frémir, seigneur ; et, de mes jours,
Je n’avais entendu ces horribles discours.
Mon penchant, je l’avoue, et ma reconnaissance,
Vous donnaient sur mon cœur une juste puissance ;
Vos blasphèmes affreux contre mon protecteur
À ce penchant si doux font succéder l’horreur.

Zopire.

Ô superstition ! Tes rigueurs inflexibles
privent d’humanité les cœurs les plus sensibles.
Que je vous plains, Palmire ! Et que sur vos erreurs
Ma pitié malgré moi me fait verser de pleurs !