Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/217

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Cette main du plus jeune a puni la furie ;
Percé de coups, madame, il est tombé sans vie:
L’autre a fui lâchement, tel qu’un vil assassin.
Et moi, je l’avouerai, de mon sort incertain,
Ignorant de quel sang j’avais rougi la terre,
Craignant d’être puni d’un meurtre involontaire,
J’ai traîné dans les flots ce corps ensanglanté.
Je fuyais; vos soldats m’ont bientôt arrêté: 
Ils ont nommé Mérope, et j’ai rendu les armes[1].

Euryclès

Eh ! Madame, d’où vient que vous versez des larmes ?

Mérope

Te le dirai-je ? Hélas ! Tandis qu’il m’a parlé,
Sa voix m’attendrissait, tout mon cœur s’est troublé.
Cresphonte, ô ciel !… j’ai cru… que j’en rougis de honte !  
Oui, j’ai cru démêler quelques traits de Cresphonte.
Jeux cruels du hasard, en qui me montrez-vous
Une si fausse image et des rapports si doux ?
Affreux ressouvenir, quel vain songe m’abuse !

Euryclès

Rejetez donc, madame, un soupçon qui l’accuse ;  
Il n’a rien d’un barbare, et rien d’un imposteur.

Mérope

Les dieux ont sur son front imprimé la candeur.
Demeurez ; en quel lieu le ciel vous fit-il naître ?

Égisthe

En Élide.

Mérope

Qu’entends-je ? En Élide ! Ah ! Peut-être…
L’Élide… répondez… Narbas vous est connu ?  
Le nom d’Égisthe au moins jusqu’à vous est venu ?
Quel était votre état, votre rang, votre père ?

Égisthe

Mon père est un vieillard accablé de misère ;

  1. Lessing chicane encore Voltaire sur ce récit. Dans Maffei, Égisthe est attaqué
    par un voleur sur la grande route. « Mais, dit Lessing, Voltaire pensait qu’un voleur dépouillant un prince est un tableau trop abject pour un parterre noble et délicat; il crut qu’il valait mieux faire de ce brigand un révolté, voulant tuer Égisthe comme descendant des Héraclides. Et puis, pourquoi seulement un assassin ? Pourquoi pas deux ? L’acte d’Égisthe en sera plus héroïque ! etc. »
    (G. A.)