Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
HISTORIQUE.

« Mme  du Châtelet vous fait ses compliments. Elle marie sa fille à M. le duc de Montenero, Napolitain au grand nez, à la taille courte, à la face maigre et noire, à la poitrine enfoncée. Il est ici, et va nous enlever une Française aux joues rebondies, Vale et me ama.

Voltaire. »

Nous le voyons bientôt après faire un nouveau voyage auprès du roi de Prusse, qui l’appelait toujours à Berlin, mais pour lequel il ne pouvait quitter longtemps ses anciens amis. Il rendit dans ce voyage au roi son maître un signalé service, comme nous le voyons par sa correspondance avec M. Amelot, ministre d’État, Mais ces particularités ne sont pas l’objet de notre Commentaire ; nous n’avons en vue que l’homme de lettres.

Le fameux comte de Bonneval, devenu bâcha turc, et qu’il avait vu autrefois chez le grand prieur de Vendôme, lui écrivait alors de Constantinople, et fut en correspondance avec lui pendant quelque temps. On n’a trouvé de ce commerce épistolaire qu’un seul fragment, que nous transcrivons :

« Aucun saint, avant moi, n’avait été livré à la discrétion du prince Eugène. Je sentais qu’il y avait une espèce de ridicule à me faire circoncire ; mais on m’assura bientôt qu’on m’épargnerait cette opération en faveur de mon âge. Le ridicule de changer de religion ne laissait pas encore de m’arrêter : il est vrai que j’ai toujours pensé qu’il est fort indifférent à Dieu qu’on soit musulman, ou chrétien, ou juif, ou guèbre ; j’ai toujours eu sur ce point l’opinion du duc d’Orléans régent, des ducs de Vendôme, de mon cher marquis de La Fare, de l’abbé de Chaulieu, et de tous les honnêtes gens avec qui j’ai passé ma vie. Je savais bien que le prince Eugène pensait comme moi, et qu’il en aurait fait autant à ma place ; enfin il fallait perdre ma tête, ou la couvrir d’un turban. Je confiai ma perplexité à Lamira, qui était mon domestique, mon interprète, et que vous avez vu depuis en France avec Saïd-effendi : il m’amena un iman qui était plus instruit que les Turcs ne le sont d’ordinaire. Lamira me présenta à lui comme un catéchumène fort irrésolu. Voici ce que ce bon prêtre lui dicta en ma présence ; Lamira le traduisit en français ; je le conserverai toute ma vie :

« Notre religion est incontestablement la plus ancienne et la plus pure de l’univers connu ; c’est celle d’Abraham sans aucun mélange ; et c’est ce qui est confirmé dans notre saint livre, où il est dit : Abraham était fidèle ; il n’était ni juif, ni chré-