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VIE DE VOLTAIRE.

Cependant son génie, incapable de souffrir le repos, s’exerçait dans tous les genres qu’il avait embrassés, et même osait en essayer de nouveaux. Il imprimait des tragédies auxquelles on peut sans doute reprocher de la faiblesse, et qui ne pouvaient plus arracher les applaudissements d’un parterre que lui-même avait rendu si difficile, mais où l’homme de lettres peut admirer de beaux vers et des idées philosophiques et profondes, tandis que le jeune homme qui se destine au théâtre peut encore y étudier les secrets de son art ; des contes où ce genre, borné jusqu’alors à présenter des images voluptueuses ou plaisantes qui amusent l’imagination ou réveillent la gaieté, prit un caractère plus philosophique, et devint, comme l’apologue, une école de morale et de raison ; des épîtres où, si on les compare à ses premiers ouvrages, l’on trouve moins de correction, un ton moins soutenu et une poésie moins brillante, mais aussi plus de simplicité et de variété, une philosophie plus usuelle et plus libre, un plus grand nombre de ces traits d’un sens profond que produit l’expérience de la vie ; des satires enfin où les préjugés et leurs protecteurs sont livrés au ridicule sous mille formes piquantes.

En même temps il donnait, dans sa Philosophie de l’Histoire[1], des leçons aux historiens, en bravant la haine des pédants, dont il dévoilait la stupide crédulité et l’envieuse admiration pour les temps antiques. Il perfectionnait son Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, son Siècle de Louis XIV, et y ajoutait l’Histoire du Siècle de Louis XV ; histoire incomplète, mais exacte, la seule où l’on puisse prendre une idée des événements de ce règne, et où l’on trouve toute la vérité que l’on peut espérer dans une histoire contemporaine, qui ne doit être ni une dénonciation ni un libelle.

De nouveaux romans, des ouvrages ou sérieux ou plaisants, inspirés par les circonstances, n’ajoutaient pas à sa gloire, mais continuaient à la rendre toujours présente, soutenaient l’intérêt de ses partisans, et humiliaient cette foule d’ennemis secrets qui, pour se refuser à l’admiration que l’Europe leur commandait, prenaient le masque de l’austérité.

Enfin il entreprit de rassembler, sous la forme de dictionnaire, toutes les idées, toutes les vues qui s’offraient à lui sur les divers objets de ses réflexions, c’est-à-dire sur l’universalité presque entière des connaissances humaines. Dans ce recueil, intitulé modestement Questions à des amateurs sur l’Encyclopédie[2], il parle tour à tour de théologie et de grammaire, de physique et de littérature ; il discute tantôt des points d’antiquité, tantôt des questions de politique, de législation, de droit public. Son style, toujours animé et piquant, répand sur ces objets divers un charme dont jusqu’ici lui seul a connu le secret, et qui naît surtout de l’abandon avec lequel, cédant à son premier mouvement, proportionnant son style moins à son sujet qu’à la disposition actuelle de son esprit, tantôt il répand le ridicule sur des objets qui semblent ne pouvoir inspirer que l’horreur, et bientôt après, entraîné par l’énergie et la sensibilité de son âme, il tonne avec force contre les abus dont il vient de plaisanter. Ailleurs il s’irrite contre le mauvais goût, s’aperçoit bientôt que son indignation doit être réservée pour de plus grands intérêts, et finit par rire de sa propre colère. Quelquefois il interrompt une discussion de morale ou de politique par une observation de littérature, et, au milieu d’une leçon de goût, il laisse échapper quelques maximes d’une philosophie profonde, ou s’arrête pour livrer au fanatisme ou à la tyrannie une attaque terrible et soudaine.

  1. Publiée en 1765, elle forme l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs.
  2. Le premier volume des Questions sur l’Encyclopédie parut en 1770 : elles ont été réunies avec le Dictionnaire philosophique, qui avait été publié en 1764.