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VIE DE VOLTAIRE.

À peine, dans le long intervalle entre cet accident funeste et sa mort, pouvait-il reprendre sa tête pendant quelques moments de suite, et sortir de la léthargie où il était plongé. C’est pendant un de ces intervalles qu’il écrivit au jeune comte de Lally, déjà si célèbre par son courage, et qui depuis a mérité de l’être par son éloquence et son patriotisme, ces lignes, les dernières que sa main ait tracées, où il applaudissait à l’autorité royale, dont la justice venait d’anéantir un des attentats du despotisme parlementaire. Enfin il expira le 30 de mai 1778[1].

Grâce aux progrès de la raison et au ridicule répandu sur la superstition, les habitants de Paris sont, tant qu’ils se portent bien, à l’abri de la tyrannie des prêtres ; mais ils y retombent dès qu’ils sont malades. L’arrivée de Voltaire avait allumé la colère des fanatiques, blessé l’orgueil des chefs de la hiérarchie ecclésiastique ; mais en même temps elle avait inspiré à quelques prêtres l’idée de bâtir leur réputation et leur fortune sur la conversion de cet illustre ennemi. Sans doule ils ne se flattaient pas de le convaincre, mais ils espéraient le résoudre à dissimuler. Voltaire, qui désirait pouvoir rester à Paris sans y être troublé par les délations sacerdotales, et qui, par une vieille habitude de sa jeunesse, croyait utile, pour l’intérêt même des amis de la raison, que des scènes d’intolérance ne suivissent point ses derniers moments, envoya chercher dès sa première maladie un aumônier des Incurables qui lui avait offert ses services[2], et qui se vantait d’avoir réconcilié avec l’Église l’abbé de L’Attaignant, connu par des scandales d’un autre genre.

L’abbé Gaultier confessa Voltaire, et reçut de lui une profession de foi par laquelle il déclarait qu’il mourait dans la religion catholique où il était né.

    je n’ai jamais pu tirer au clair ce dernier fait ; je sais seulement qu’ils se réunirent tous pour assurer au malade qu’il l’avait bue entièrement : M. de Villette dit avoir vu M. de Voltaire seul dans sa chambre achever de la vider. Mme de Saint-Julien lui dit alors qu’il était un grand malheureux de n’avoir pas sauté sur lui pour l’en empêcher. »

  1. À onze heures et un quart du soir.
  2. L’abbé Gaultier présenta à l’archevêque un Mémoire concernant tout ce qui s’est passé à la mort de Voltaire. Ce Mémoire est imprimé dans les diverses éditions de l’opuscule du Père Harel, intitulé Voltaire, recueil des particularités curieuses de sa vie et de sa mort, et page 19 du tome II des Mémoires pour servir à l’histoire de M. de Voltaire (par Chaudon), 1785, in-12. C’est là qu’ont été prises les lettres de Voltaire à Gaultier, et de Gaultier à Voltaire ; mais Wagnière observe que la lettre du 20 février n’a pas été donnée telle qu’elle a été écrite ; que la réponse du 21 est signée Voltaire (et non De Voltaire) ; il assure que le billet du 26 n’a jamais été écrit ; il ajoute ne pas connaître le billet de Mme Denis du 27. Wagnière élève aussi des doutes sur les billets des 13 et 15 mars.