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VIE DE VOLTAIRE.

Voltaire a été accusé d’aimer trop le gouvernement d’un seul, et cette accusation ne peut en imposer qu’à ceux qui n’ont pas lu ses ouvrages. Il est vrai qu’il haïssait davantage le despotisme aristocratique, qui joint l’austérité à l’hypocrisie, et une tyrannie plus dure à une morale plus perverse ; il est vrai qu’il n’a jamais été la dupe des corps de magistrature de France, des nobles suédois et polonais, qui appelaient liberté le joug sous lequel ils voulaient écraser le peuple : et cette opinion de Voltaire a été celle de tous les philosophes qui ont cherché la définition d’un état libre dans leur cœur et dans leur raison, et non, comme le pédant Mably, dans les exemples des anarchies tyranniques de l’Italie et de la Grèce.

On l’accuse d’avoir trop loué le faste de la cour de Louis XIV : cette accusation est fondée. C’est le seul préjugé de sa jeunesse qu’il ait conservé. Il y a bien peu d’hommes qui puissent se flatter de les avoir secoués tous. On l’accuse d’avoir cru qu’il suffisait au bonheur d’un peuple d’avoir des artistes célèbres, des orateurs et des poëtes : jamais il n’a pu le penser. Mais il croyait que les arts et les lettres adoucissent les mœurs, préparent à la raison une route plus facile et plus sûre ; il pensait que le goût des arts et des lettres dans ceux qui gouvernent, en amollissant leur cœur, leur épargne souvent des actes de violence et des crimes, et que, dans des circonstances semblables, le peuple le plus ingénieux et le plus poli sera toujours le moins malheureux.

Ses pieux ennemis l’ont accusé d’avoir attaqué de mauvaise foi la religion de son pays, et de porter l’incrédulité jusqu’à l’athéisme : ces deux inculpations sont également fausses. Dans une foule d’objections fondées sur des faits, sur des passages tirés de livres regardés comme inspirés par Dieu même, à peine a-t-on pu lui reprocher avec justice un petit nombre d’erreurs qu’on ne pouvait imputer à la mauvaise foi, puisqu’en les comparant au nombre des citations justes, des faits rapportés avec exactitude, rien n’était plus inutile à sa cause. Dans sa dispute avec ses adversaires, il a toujours dit : On ne doit croire que ce qui est prouvé ; on doit rejeter ce qui blesse la raison, ce qui manque de vraisemblance ; et ils lui ont toujours répondu : On doit adopter et adorer tout ce qui n’est pas démontré impossible.

Il a paru constamment persuadé de l’existence d’un Être suprême, sans se dissimuler la force des objections qu’on oppose à cette opinion. Il croyait voir dans la nature un ordre régulier, mais sans s’aveugler sur des irrégularités frappantes qu’il ne pouvait expliquer.

Il était persuadé, (quoiqu’il fût encore éloigné de cette certitude absolue devant laquelle se taisent toutes les difficultés ; et l’ouvrage intitulé Il faut prendre un parti, ou le principe d’action, etc.[1], renferme peut-être les preuves les plus fortes de l’existence d’un Être suprême qu’il ait été possible jusqu’ici aux hommes de rassembler.

  1. Voyez tome XXVIII, page 517.