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102 LE PAUVRE DIABLE.

La France arrive à l'âge de raison ; Et les enfants de François et d'Ignace, Bien reconnus, sont remis à leur place.

« Nous faisons cas d'un cheval vigoureux Qui, déployant quatre jarrets nerveux. Frappe la terre, et bondit sous son maître : J'aime un gros bœuf, dont le pas lent et lourd. En sillonnant un arpent dans un jour, Forme un guéret où mes épis vont naître. L'àne me plaît : son dos porte au marché Les fruits du champ que le rustre a bêché ; Mais pour le singe, animal inutile, Malin, gourmand, saltimbanque indocile, Qui gâte tout et vit à nos dépens. On l'abandonne aux laquais fainéants. Le fier guerrier, dans la Saxe, en Thuringe, C'est le cheval ; un Pequet, un Pleneuf \ Un trafiquant, un commis, est le bœuf; Le peuple est l'âne, et le moine est le singe.

— S'il est ainsi, je me décloître. ciel ! Faut-il rentrer dans mou état cruel ! Faut-il me rendre à ma première vie!

— Quelle était donc cette vie ? — Un enfer. Un piège afïreux, tendu par Lucifer.

J'étais sans bien, sans métier, sans génie.

Et j'avais lu quelques méchants auteurs ;

Je croyais même avoir des protecteurs.

Mordu du chien de la métromanie.

Le mal me prit, je fus auteur aussi.

— Ce métier-là ne t'a pas réussi.

Je le vois trop : çà, fais-moi, pauvre diable.

De ton désastre un récit véritable.

Que faisais-tu sur le Parnasse? — Hélas!

Dans mon grenier, entre deux sales draps.

Je célébrais les faveurs de Glycère,

De qui jamais n'approcha ma misère ;

Ma triste voix chantait d'un gosier sec

��1. Pequot était un premier commis des affaires étrangères; Pleneuf était un entrepreneur des vivres. {Note de Voltaire, \11\.) — Borthelot de Pleneuf était le père de la marquise de Prie, à qui est dédié V Indiscret ; voyez tome I du Théâtre, page 245.

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