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l_uo] DIALOGUE \)E PÉGASE ET DU VIEILLARD. 205

PÉGASE.

Ah, doyen des ingrats ! ce triste et froid discours Est d'un vieux impuissant qui médit des amours. Un pauvre liomme épuisé se pique de sagesse. Eh bien, tu te sens faible, écris avec faiblesse; Corneille en cheveux blancs sur moi caracola, Quand en croupe avec lui je portais Attila; Je suis tout fier encor de sa course dernière. Tout mortel jusqu'au bout doit fournir sa carrière, Et je ne puis souffrir un changement grossier. Quoi! renoncer aux arts, et prendre un vil métier! Sais-tu qu'un villageois sans esprit, sans science, N'ayant pour tout talent qu'un peu d'expérience, Fait jaunir dans son champ de plus riches moissons Que n'en eut Mirabeau par ses doctes leçons ^ ? Laisse un travail pénible aux mains du mercenaire, Aux journaliers la bêche, aux maçons leur équerre : Songe que tu naquis pour mon sacré vallon ; Chante encore avec Pope, et pense avec Platon ; Ou rime en vers badins les leçons d'Épicure, Et ce Système heureux qu'on dit de la nature. Pour la dernière fois veux-tu me monter ?

LE VIEILLARD.

Non. Apprends que tout système offense ma raison. Plus de vers, et surtout plus de philosophie. A rechercher le vrai j'ai consumé ma vie ; J'ai marché dans la nuit sans guide et sans flambeau : Hélas ! voit-on plus clair au bord de son tombeau ? A quoi peut nous servir ce don de la pensée. Cette lumière faible, incertaine, éclipsée? Je n'ai pensé que trop. Ceux qui par charité Ont au fond de leur puits noyé la vérité Font repentir souvent l'imprudent qui l'en tire. Je me tais. Je ne veux rien savoir, ni rien dire.

PÉGASE.

Eh bien, végète et meurs. Je revole à Paris

Présenter mon service à de profonds esprits ;

Les uns, dans leurs greniers fondant des républiques ;

i. Il a fort encouragé l'agriculture par son livre intitulé VAmi des hommes. {Note de M. de Morza, 1775.)

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