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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/239

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ÉPÎTRE X.


À MADAME DE ***[1].


(1716)


De cet agréable rivage
Où ces jours passés on vous vit
Faire, hélas ! un trop court voyage,
Je vous envoie un manuscrit
Qui d’un écrivain bel esprit
N’est point assurément l’ouvrage,
Mais qui vous plaira davantage
Que le livre le mieux écrit :
C’est la recette d’un potage.
Je sais que le dieu que je sers,
Apollon, souvent vous demande
Votre avis sur ses nouveaux airs ;
Vous êtes connaisseuse en vers ;
Mais vous n’êtes pas moins gourmande.
Vous ne pouvez donc trop payer
Cette appétissante recette
Que je viens de vous envoyer.
Ma muse timide et discrète
N’ose encor pour vous s’employer.
Je ne suis pas votre poëte ;
Mais je suis votre cuisinier.
Mais quoi ! le destin, dont la haine
M’accable aujourd’hui de ses coups,
Sera-t-il jamais assez doux
Pour me rassembler avec vous
Entre Comus et Melpomène,
Et que cet hiver me ramène
Versifiant à vos genoux ?
Ô des soupers charmante reine,
Fassent les dieux que les Guerbois

  1. Cette épître fut encore envoyée du château de Sully. Quelques jours après, Voltaire obtenait sa grâce et revenait à Paris. (G. A.)