Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/267

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Déjà près de mon lit la Mort inexorable
Avait levé sur moi sa faux épouvantable ;
Le vieux nocher des morts à sa voix accourut.
C’en était fait ; sa main tranchait ma destinée :
Mais tu lui dis : « Arrête !… » Et la Mort, étonnée,
Reconnut son vainqueur, frémit, et disparut[1].
Hélas ! si, comme moi, l’aimable Genonville
Avait de ta présence eu le secours utile,
Il vivrait[2], et sa vie eût rempli nos souhaits ;
De son cher entretien je goûterais les charmes ;
Mes jours, que je te dois, renaîtraient sans alarmes,
Et mes yeux, qui sans toi se fermaient pour jamais,
Ne se rouvriraient point pour répandre des larmes.
C’est toi du moins, c’est toi par qui, dans ma douleur,
Je peux jouir de la douceur
De plaire et d’être cher encore
Aux illustres amis dont mon destin m’honore.
Je reverrai Maisons[3] dont les soins bienfaisants
Viennent d’adoucir ma souffrance ;
Maisons, en qui l’esprit tient lieu d’expérience.
Et dont j’admire la prudence
Dans l’âge des égarements[4].
Je me flatte en secret que je pourrai peut-être
Charmer encor Sully, qui m’a trop oublié,
Mariamne[5] à ses yeux ira bientôt paraître ;

  1. Variante :
    Aussitôt ta main vigilante,
    Ranimant la chaleur étoinle dans mon corps,
    De ma frêle machine arrangea les ressorts.
    La nature obéissante
    Fut soumise à tes efforts,
    Et la Parque impatiente
    File aujourd’hui pour moi dans l’empire des morts.
    Hélas ! si, comme moi, etc.
  2. Genonville était mort en septembre 1723, c’est-à-dire trois mois auparavant, de la petite vérole, dont Voltaire venait de guérir.
  3. Le jeune président de Maisons était emporté par la même maladie, huit ans plus tard. (G. A.)
  4. Variante :
    Je me flatte en secret qu’à mon dernier ouvrage
    Le vertueux Sully donnera son suffrage ;
    Que son cœur généreux avec quelque plaisir
    Au sortir du tombeau me verra reparaître,
    Et que Mariamne peut-être
    Pourra par ses malheurs enchanter son loisir…
    Beaux jardins, etc.
  5. La tragédie de Mariamne.