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Au néant l’aura rapporté,
Son nom, comme je le présume,
Ira, par votre grâce, à l’immortalité.




ÉPÎTRE XCV.


À MADEMOISELLE CLAIRON[1].


(1765)


Le sublime en tout genre est le don le plus rare[2] ;
C’est là le vrai phénix ; et, sagement avare,
La nature a prévu qu’en nos faibles esprits
Le beau, s’il est commun, doit perdre de son prix.
La médiocrité couvre la terre entière ;
Les mortels ont à peine une faible lumière,
Quelques vertus sans force, et des talents bornés.
S’il est quelques esprits par le ciel destinés
À s’ouvrir des chemins inconnus au vulgaire,
À franchir des beaux-arts la limite ordinaire,
La nature est alors prodigue en ses présents ;
Elle égale dans eux les vertus aux talents.
Le souffle du génie et ses fécondes flammes
N’ont jamais descendu que dans de nobles âmes ;
Il faut qu’on en soit digne, et le cœur épuré
Est le seul aliment de ce flambeau sacré.
Un esprit corrompu ne fut jamais sublime.
Toi que forma Vénus, et que Minerve anime,
Toi qui ressuscitas sous mes rustiques toits
L’Électre de Sophocle aux accents de ta voix

  1. Cette épître fut adressée à Mlle  Clairon en juillet 1765 ; voyez la lettre du 23 juillet.
  2. Voltaire avait déjà dit, dans une première épître à Mlle  Clairon :
    Quand dans les arts de l’esprit et du goût
    On est sublime, on est égal à tout.
    Voyez ci-dessus, page 373.