Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/395

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(Non l’Électre française[1] à la mode soumise,
Pour le galant Itys si galamment éprise) ;
Toi qui peins la nature en osant l’embellir,
Souveraine d’un art que tu sus ennoblir,
Toi dont un geste, un mot, m’attendrit et m’enflamme,
Si j’aime tes talents, je respecte ton âme.
L’amitié, la grandeur, la fermeté, la foi[2],
Les vertus que tu peins, je les retrouve en toi :
Elles sont dans ton cœur. La vertu que j’encense
N’est pas des voluptés la sévère abstinence.
L’amour, ce don du ciel, digne de son auteur,
Des malheureux humains est le consolateur.
Lui-même il fut un dieu dans les siècles antiques ;
On en fait un démon chez nos vils fanatiques :
Très-désintéressé sur ce péché charmant,
J’en parle en philosophe, et non pas en amant.
Une femme sensible, et que l’amour engage,
Quand elle est honnête homme, à mes yeux est un sage.
Que ce conteur heureux qui plaisamment chanta[3]
Le démon Belphégor et madame Monesta,
L’Ésope des Français, le maître de la fable,
Ait de la Champmêlé vanté la voix aimable,
Ses accents amoureux et ses sons affétés,
Écho des fades airs que Lambert[4] a notés ;
Tu n’étais pas alors ; on ne pouvait connaître
Cet art qui n’est qu’à toi, cet art que tu fais naître.
Corneille, des Romains peintre majestueux,
T’aurait vue aussi noble, aussi Romaine qu’eux.
Le ciel, pour échauffer les glaces de mon âge,
Le ciel me réservait ce flatteur avantage :

  1. L’Électre de Crébillon, dans laquelle on condamnait surtout la partie carrée d’Électre avec Itys et d’Iphianasse avec Tydée. (B.)
  2. La foi, en poésie, signifie la bonne foi. (Note de Voltaire, 1763.)
  3. La Fontaine, dans son prologue de Belphégor, dédié à Mlle Champmêlé, fameuse actrice pour son temps. La déclamation était alors une espèce de chant. Lamotte a fait des stances pour Mlle Duclos, dans lesquelles il la loue d’imiter la Champmêlé : et ni l’une ni l’autre ne devaient être imitées. On est tombé depuis dans un autre défaut beaucoup plus grand : c’est un familier excessif et ridicule, qui donne à un héros le ton d’un bourgeois. Le naturel dans la tragédie doit toujours se ressentir de la grandeur du sujet, et ne s’avilir jamais par la familiarité. Baron, qui avait un jeu si naturel et si vrai, ne tomba jamais dans cette bassesse. (Id., 1765.)
  4. Lambert, auteur de quelques airs insipides, très-célèbre avant Lulli. (Id., 1765.)