Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


ÉPÎTRE CX.


À MONSIEUR D’ALEMBERT.


(1771)


Esprit juste et profond, parfait ami, vrai sage,
D’Alembert, que dis-tu de mon dernier ouvrage[1] ?
Le roi danois et toi, mes juges souverains,
Vous donnez carte blanche à tous les écrivains.
Le privilège est beau ; mais que faut-il écrire ?
Me permettriez-vous quelques grains de satire ?
Virgile a-t-il bien fait de pincer Mævius ?
Horace a-t-il raison contre Nomentanus ?
Oui, si ces deux Latins, montés sur le Parnasse,
S’égayaient aux dépens de Virgile et d’Horace,
La défense est de droit ; et d’un coup d’aiguillon
L’abeille en tous les temps repoussa le frelon.
La guerre est au Parnasse, au conseil, en Sorbonne
Allons, défendons-nous, mais n’attaquons personne.
« Vous m’avez endormi », disait ce bon Trublet[2] ;
Je réveillai mon homme à grands coups de sifflet[3].
Je fis bien : chacun rit, et j’en ris même encore.
La critique a du bon ; je l’aime et je l’honore.
Le parterre éclairé juge les combattants,
Et la saine raison triomphe avec le temps.

  1. Il s’agit de l’épître cix au roi de Danemark. Ce fut le 2 mars 1771 que fut envoyée à d’Alembert l’épître qui est à son adresse. (B.)
  2. Voyez, page 99, la pièce intitulée le Pauvre Diable. (Note de Voltaire, 1771.)
  3. L’abbé Trublet, dans ses Essais sur divers sujets de littérature et de morale, disait : « On a osé dire de la Henriade, et l’on a dit sans malignité : Je ne sais pourquoi je bâille en la lisant*. On a encore appliqué à ce poëme le mot de La Bruyère sur l’opéra : « Je ne sais pas comment l’opéra, avec une musique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m’ennuyer. » Et l’on a dit : « Je ne sais pas comment la Henriade, avec une poésie et une versification si parfaite, a pu réussir à m’ennuyer. » Ce n’est pas le poëte qui ennuie et fait bâiller dans la Henriade, c’est la poésie ou plutôt les vers. »

    Cette opinion de l’abbé lui valut la volée de bois vert que lui infligea l’auteur du Pauvre Diable.


    * Citation de Boileau, sur la Pucelle de Chapelain, satire iii ; mais le vers est faux.