ÉPÎTRE CXI.
Élève d’Apollon, de Thémis, et de Mars,
Qui sur ton trône auguste as placé les beaux-arts,
Qui penses en grand homme, et qui permets qu’on pense ;
Toi qu’on voit triompher du tyran de Byzance,
Et des sots préjugés, tyrans plus odieux,
Prête à ma faible voix des sons mélodieux ;
À mon feu qui s’éteint rends sa clarté première :
C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière[1].
On m’a trop accusé d’aimer peu Moustapha,
Ses vizirs, ses divans, son mufti, ses fetfa.
Fetfa ! ce mot arabe est bien dur à l’oreille ;
On ne le trouve point chez Racine et Corneille :
Du dieu de l’harmonie il fait frémir l’archet.
On l’exprime en français par lettres de cachet.
Oui, je les hais, madame, il faut que je l’avoue.
Je ne veux point qu’un Turc à son plaisir se joue
Des droits de la nature et des jours des humains ;
Qu’un bacha dans mon sang trempe à son gré ses mains ;
Que, prenant pour sa loi sa pure fantaisie,
Le vizir au bacha puisse arracher la vie,
Et qu’un heureux sultan, dans le sein du loisir,
Ait le droit de serrer le cou de son vizir.
Ce code en mon esprit fait naître des scrupules.
Je ne saurais souffrir les affronts ridicules
Que d’un faquin châtré[2] les grossières hauteurs
- ↑ Voltaire écrivait à l’impératrice le 27 février 1767 : Un temps viendra… où toute la lumière nous viendra du Nord.
- ↑ Le chiaoux-bacha, qui est d’ordinaire un eunuque blanc, veut toujours prendre la main sur l’ambassadeur, quand il vient le complimenter. Quand le grand-eunuque noir marche, il faut, si un ambassadeur se trouve sur son passage, qu’il s’arrête jusqu’à ce que tout le cortège de l’eunuque soit passé. Il en est à plus forte raison de même avec le grand-vizir, les deux cadileskers, et le mufti ; mais l’excès de l’insolence barbare est de faire enfermer au château des Sept-Tours les ambassa-