Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
CHAPITRE LXXIV.

ils imputèrent la mort de leurs compatriotes à la vengeance des Allemands retirés de l’université de Prague. Ils reprochèrent à l’empereur la violation du droit des gens. Enfin, peu de temps après (1419), quand Sigismond voulut succéder en Bohême à Venceslas son frère, il trouva, tout empereur, tout roi de Hongrie qu’il était, que le bûcher de deux citoyens lui fermait le chemin du trône de Prague. Les vengeurs de Jean Hus étaient au nombre de quarante mille. C’étaient des animaux sauvages que la sévérité du concile avait effarouchés et déchaînés.

Les prêtres qu’ils rencontraient payaient de leur sang la cruauté des pères de Constance. Jean, surnommé Ziska, qui veut dire borgne, chef barbare de ces barbares, battit Sigismond plus d’une fois. Ce Jean Ziska, ayant perdu dans une bataille l’œil qui lui restait, marchait encore à la tête de ses troupes, donnait ses conseils aux généraux, et assistait aux victoires. Il ordonna qu’après sa mort on fît un tambour de sa peau ; on lui obéit[1] : ce reste de lui-même fut encore longtemps fatal à Sigismond, qui put à peine en seize années réduire la Bohême avec les forces de l’Allemagne et la terreur des croisades. Ce fut pour avoir violé son sauf-conduit qu’il essuya ces seize années de désolation.

________


CHAPITRE LXXIV.


De l’état de l’Europe vers le temps du concile de Constance.
De l’Italie.


En réfléchissant sur ce concile même, tenu sous les yeux d’un empereur, de tant de princes et de tant d’ambassadeurs, sur la déposition du souverain pontife, sur celle de Venceslas, on voit que l’Europe catholique était en effet une immense et tumultueuse république, dont les chefs étaient le pape et l’empereur, et dont les membres désunis sont des royaumes, des provinces, des villes libres, sous vingt gouvernements différents. Il n’y avait aucune affaire dans laquelle l’empereur et le pape n’entrassent.

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire du 16 novembre 1743, et celle du roi de Prusse du 4 décembre même année.