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CHAPITRE C.

dit avec tous les siens et avec la vie, dans une guerre plus injuste que tous les duels dont nous avons parlé.

Ce qui contribua le plus à l’abolissement de cet usage, ce fut la nouvelle manière de faire combattre les armées. Le roi Henri IV décria l’usage des lances à la journée d’Ivry, et aujourd’hui que la supériorité du feu décide de tout dans les batailles, un chevalier serait mal reçu à se présenter la lance en arrêt. La valeur consistait autrefois à se tenir ferme et armé de toutes pièces sur un cheval de carrosse qui était aussi bardé de fer : elle consiste aujourd’hui à marcher lentement devant cent bouches de canon qui emportent quelquefois des rangs entiers.

Lorsque les duels juridiques n’étaient plus d’usage, et que les cartels de chevalerie l’étaient encore, les duels entre particuliers commencèrent avec fureur ; chacun se donna soi-même, pour la moindre querelle, la permission qu’on demandait autrefois aux parlements, aux évêques, et aux rois.

Il y avait bien moins de duels quand la justice les ordonnait solennellement ; et lorsqu’elle les condamna, ils furent innombrables. On eut bientôt des seconds dans ces combats, comme il y en avait eu dans ceux de chevalerie.

Un des plus fameux dans l’histoire est celui de Caylus, Maugiron, et Livarot, contre Antragues, Riberac, et Schomberg, sous le règne de Henri III, à l’endroit où est aujourd’hui la place Royale à Paris, et où était autrefois le palais des Tournelles. Depuis ce temps il ne se passa presque point de jour qui ne fût marqué par quelque duel ; et cette fureur fut poussée au point qu’il y avait des compagnies de gendarmes dans lesquelles on ne recevait personne qui ne se fût battu au moins une fois, ou qui ne jurât de se battre dans l’année. Cette coutume horrible a duré jusqu’au temps de Louis XIV.

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