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L’ÉTAT DU PAPE, VENISE, NAPLES, AU XVe SIÈCLE.


CHAPITRE CVI.


De l’état du pape, de Venise, et de Naples, au xve siècle.


L’État du pape n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, encore moins ce qu’il aurait dû être si la cour de Rome avait pu profiter des donations qu’on croit que Charlemagne avait faites, et de celles que la comtesse Mathilde fit réellement. La maison de Gonzague était en possession de Mantoue, dont elle faisait hommage à l’empire. Divers seigneurs jouissaient en paix, sous les noms de vicaires de l’empire ou de l’Église, des belles terres qu’ont aujourd’hui les papes. Pérouse était à la maison des Bailloni ; les Bentivoglio avaient Bologne ; les Polentini, Ravenne ; les Manfredi, Faenza ; les Sforces, Pezaro ; les Riario possédaient Imola et Forli ; la maison d’Este régnait depuis longtemps à Ferrare ; les Pics, à la Mirandole ; les barons romains étaient encore très-puissants dans Rome : on les appelait les menottes des papes. Les Colonnes et les Ursins, les Conti, les Savelli, premiers barons, et possesseurs anciens des plus considérables domaines, partageaient l’État romain par leurs querelles continuelles, semblables aux seigneurs qui s’étaient fait la guerre en France et en Allemagne dans les temps de faiblesse. Le peuple romain, assidu aux processions, et demandant à grands cris des indulgences plénières à ses papes, se soulevait souvent à leur mort, pillait leur palais, et était prêt de jeter leur corps dans le Tibre. C’est ce qu’on vit surtout à la mort d’Innocent VIII.

Après lui fut élu l’Espagnol Roderico Borgia, Alexandre VI, homme dont la mémoire a été rendue exécrable par les cris de l’Europe entière, et par la plume de tous les historiens. Les protestants, qui dans les siècles suivants s’élevèrent contre l’Église, chargèrent encore la mesure des iniquités de ce pontife. Nous verrons si on lui a imputé trop de crimes. Son exaltation fait bien connaître les mœurs et l’esprit de son siècle, qui ne ressemble en rien au nôtre. Les cardinaux qui l’élurent savaient qu’il élevait cinq enfants nés de son commerce avec Vanozza. Ils devaient prévoir que tous les biens, les honneurs, l’autorité, seraient entre les mains de cette famille : cependant ils le choisirent pour maître. Les chefs des factions du conclave vendirent pour de modiques sommes leurs intérêts et ceux de l’Italie.