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CHAPITRE CXVII.

dit neveu d’Édouard IV[1]. Instruit à jouer ce rôle par un prêtre, il fut couronné roi à Dublin en Irlande (1487), et osa donner bataille au roi près de Nottingham. Henri, qui le prit prisonnier, crut humilier assez les factieux en mettant ce roi dans sa cuisine, où il servit longtemps.

Les entreprises hardies, quoique malheureuses, font souvent des imitateurs. On est excité par un exemple brillant, et on espère de meilleurs succès. Témoin six faux Démétrius qu’on a vus de suite en Moscovie, et témoin tant d’autres imposteurs. Le garçon boulanger fut suivi par le fils d’un Juif, courtier d’Anvers, qui joua un plus grand personnage.

Ce jeune Juif, qu’on appelait Perkin, se dit fils du roi Édouard IV. Le roi de France, attentif à nourrir toutes les semences de division en Angleterre, le reçut à sa cour, le reconnut, l’encouragea ; mais bientôt, ménageant Henri VII, il abandonna cet imposteur à sa destinée.

La vieille douairière de Bourgogne, sœur d’Édouard IV et veuve de Charles le Téméraire, laquelle faisait jouer ce ressort, reconnut le jeune Juif pour son neveu (1493). Il jouit plus longtemps de sa fourberie que le jeune garçon boulanger. Sa taille majestueuse, sa politesse, sa valeur, semblaient le rendre digne du rang qu’il usurpait. Il épousa une princesse de la maison d’York, dont il fut encore aimé même quand son imposture fut découverte. Il eut les armes à la main pendant cinq ans entiers : il arma même l’Écosse, et eut des ressources dans ses défaites. Mais enfin, abandonné et livré au roi (1498), condamné seulement à la prison, et ayant voulu s’évader, il paya sa hardiesse de sa tête. Ce fut alors que l’esprit de faction fut anéanti, et que les Anglais, n’étant plus redoutables à leurs monarques, commencèrent à le devenir à leurs voisins, surtout lorsque Henri VIII, en montant au trône, fut, par l’économie extrême et par la sagesse du gouvernement de son père, possesseur d’un ample trésor et maître d’un peuple belliqueux, et pourtant soumis autant que les Anglais peuvent l’être.

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  1. Il n’avait que quatorze ans, et s’appelait Lambert Simnel. (G. A.)