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CHAPITRE LXXV.

vaisseaux s’abordaient par la proue, on en abaissait de part et d’autre des ponts-levis, et on se battait comme en terre ferme. (1340) Les amiraux de Philippe de Valois perdirent soixante-dix vaisseaux, et près de vingt mille combattants. Ce fut là le prélude de la gloire d’Édouard, et du célèbre Prince Noir, son fils, qui gagnèrent en personne cette bataille mémorable.

Je vous épargne ici les détails des guerres, qui se ressemblent presque toutes ; mais, insistant toujours sur ce qui caractérise les mœurs du temps, j’observerai qu’Édouard défia Philippe de Valois à un combat singulier : le roi de France le refusa, disant qu’un souverain ne s’abaissait pas à se battre contre son vassal.

(1341) Cependant un nouvel événement semblait renverser encore la loi salique. La Bretagne, fief de France, venait d’être adjugée par la cour des pairs à Charles de Blois, qui avait épousé la fille du dernier duc ; et le comte de Montfort, oncle de ce duc, avait été exclu. Les lois et les intérêts étaient autant de contradictions. Le roi de France, qui semblait devoir soutenir la loi salique dans la cause du comte de Montfort, héritier mâle de la Bretagne, prenait le parti de Charles de Blois, qui tirait son droit des femmes ; et le roi d’Angleterre, qui devait maintenir le droit des femmes dans Charles de Blois, se déclarait pour le comte de Montfort.

La guerre recommence à cette occasion entre la France et l’Angleterre. On surprend d’abord Montfort dans Nantes, et on l’amène prisonnier à Paris dans la tour du Louvre. Sa femme, fille du comte de Flandre, était une de ces héroïnes singulières qui ont paru rarement dans le monde, et sur lesquelles on a sans doute imaginé les fables des Amazones. Elle se montra, l’épée à la main, le casque en tête, aux troupes de son mari, portant son fils entre ses bras ; elle soutint le siége de Hennebon, fit des sorties, combattit sur la brèche, et enfin, à l’aide de la flotte anglaise qui vint à son secours, elle fit lever le siége.

(Auguste 1346) Cependant la faction anglaise et le parti français se battirent longtemps en Guienne, en Bretagne, en Normandie : enfin, près de la rivière de Somme, se donne cette sanglante bataille de Crécy entre Édouard et Philippe de Valois. Édouard avait auprès de lui son fils le prince de Galles, qu’on nommait le Prince Noir à cause de sa cuirasse brune et de l’aigrette noire de son casque. Ce jeune prince eut presque tout l’honneur de cette journée. Plusieurs historiens ont attribué la défaite des Français à quelques petites pièces de canon dont les Anglais étaient munis : il y avait dix ou douze années que l’artillerie commençait à être en usage.